Un “pillage massif”, voilà ce que dénonce Oxfam dans un nouveau rapport publié mercredi 24 septembre. Dévoilant les rouages d’une “transition injuste”, l’ONG alerte sur l’accaparement par les “ultra-riches”, qu’ils s’agissent d’Etats ou d’entreprises, des matières premières essentielles à la transition énergétique au détriment des pays du Sud. Cobalt, lithium ou encore cuivre… Le passage des combustibles fossiles aux énergies renouvelables a en effet enclenché une course mondiale aux minéraux de transition. Une ruée qui ne bénéficie que trop peu aux pays du Sud, qui détiennent pourtant une part importante de ces ressources, dénonce l’ONG.
Si les pays du Sud abritent ainsi 70% des réserves de minerais nécessaires à la transition énergétique, les pays du Nord et la Chine concentrent la majorité des investissements dans les énergies renouvelables. C’est par exemple en Amérique latine que l’on retrouve près de la moitié des réserves mondiales de lithium, un métal notamment utilisé dans la fabrication de batteries. Pourtant, le continent ne perçoit “qu’environ 10% de la chaîne de valeur générée par cette filière”, souligne Oxfam.
Tesla pointé du doigt
“La richesse créée par le lithium, surnommé l’or blanc, se fait ailleurs. Elle se fait dans la transformation industrielle, dans la vente des produits finis, principalement dans les pays du Nord et un peu en Chine aussi, explique auprès de RFI Selma Huart, chargée de plaidoyer à Oxfam. En revanche, les impacts de cette extraction du lithium sont vraiment négatifs. Il y a une extrême consommation de l’eau qui assèche des régions déjà très fragiles. Les communautés locales, qui sont souvent indigènes, vont subir des déplacements, une perte d’accès aux ressources et des dommages écologiques sans véritable consentement”.
Parmi les entreprises symboles de cette situation, le constructeur automobile Tesla est particulièrement pointé du doigt. La vente d’une voiture rapporte à l’entreprise américaine 3 145 dollars de profit, soit 321 fois la redevance versée à la République démocratique du Congo (RDC) pour les trois kilogrammes de cobalt utilisés lors de la fabrication du véhicule. La RDC ne capte ainsi que 14% de la chaîne de valeur du cobalt. Si elle captait l’intégralité, cela représenterait plus de 4 milliards de dollars par an, note le rapport.
Un système auquel la France et l’Europe participent également. L’année dernière, une filiale de TotalEnergies, TE H2, a lancé au Maroc un projet d’énergie solaire et éolienne d’une capacité d’un gigawatt visant à alimenter la production d’hydrogène vert. A destination du marché européen, ce projet s’inscrit dans le cadre du plan européen RePowerEU et utilise donc les ressources du Maroc sans contribuer à sa transition, précise Oxfam.
La ruée vers les énergies renouvelables, miracle ou mirage économique pour l’Afrique ?
Architecture financière défavorable
En résulte une nouvelle forme de domination que l’association qualifie de “colonialisme vert”, venant “aggrave[r] les inégalités et aliment[ant] les violations des droits humains”. Les auteurs du rapport pointent en effet l’accaparement des ressources naturelles et des terres par les pays du Nord, notamment pour le développement de projets de biomasse ou de captage de carbone, et ce sans obtenir le consentement des populations locales. “Les terres reconnues comme autochtones menacées par des activités industrielles, en grande partie associées aux pratiques extractives actuelles de la transition énergétique, couvrent 22,7 millions de km²” indique le rapport. Cela équivaut à une superficie plus grande que le Brésil, les Etats-Unis et l’Inde réunis.
A cela s’ajoute une architecture financière encore largement défavorable aux pays les plus pauvres. Investissements insuffisants, endettement, taux d’intérêts élevés… Faute de moyens adaptés, la transition vers des énergies propres paraît encore hors de portée pour de nombreux pays du Sud. A titre de comparaison, “alimenter 100 000 personnes en énergie propre coûte 139 millions de dollars dans les économies émergentes comme l’Inde et jusqu’à 188 millions de dollars dans des pays africains comme le Nigeria”, avancent les auteurs de l’étude, contre “environ 95 millions de dollars dans les économies avancées comme le Royaume-Uni”.
Des conclusions qui s’inscrivent par ailleurs dans un contexte général d’inégalités d’accès à l’énergie. “L’énergie consommée par les 1% les plus riches de la planète suffirait à répondre sept fois aux besoins énergétiques fondamentaux de toutes les personnes privées d’électricité”, rappelle l’ONG.