Publié le 18 juin 2020
Pour inciter les pays en développement à protéger la planète sans renoncer à la croissance, des pays du Nord peuvent décider de financer la préservation de certaines zones. C'est le cas de la France qui a promis 65 millions d'euros pour la protection des tourbières au Congo alors que le pays a dévoilé de nouveaux gisements pétroliers dans ces zones vitales pour le climat. Mais des spécialistes estiment que ces réserves sont exagérées.

Il y a quelques mois, le président de la République du Congo, Denis Sassou-Nguesso, annonçait avoir découvert de nouvelles réserves pétrolières dans le bassin de Ngoki, au nord du pays, une zone riche en tourbières, ces écosystèmes vitaux pour le climat. La région, décrite comme étant l’une des plus sauvages et des plus reculées de la planète, abriterait de quoi quadrupler la production pétrolière du pays, criblé de dettes. "Notre pays n’a jamais enfreint l’obligation de protéger les tourbières. Il n’a nullement l’intention de le faire à l’avenir et ce, alors que les contreparties financières continuent à se faire attendre", a lancé le Président du Congo.
De fait, le pays a signé avec la France un accord de 65 millions de dollars visant à protéger les forêts et les tourbières de la République du Congo, dans le cadre de l’Initiative pour la forêt de l’Afrique centrale (Cafi). Mais l’accord n’exclut pas la possibilité de lancer des activités pétrolières ou minières dans les zones de tourbières, si celles-ci se révélaient finalement rentables, et se contente de prévoir un "statut juridique spécial" pour les tourbières d’ici 2025.
Des réserves qui seraient exagérées
Surtout, selon plusieurs spécialistes, la capacité de ces réserves serait totalement exagéré. C’est ce que révèle l’ONG Global Witness dans un rapport très complet (1). "Un expert en hydrocarbures a qualifié de ‘ridicules’ les propos relatifs aux 359 millions de barils de pétrole que ce gisement pourrait renfermer et aux 900 000 barils qui pourraient y être produits chaque jour. D’autres se demandent comment les grandes compagnies pétrolières auraient bien pu passer à côté d’un gisement aussi riche" notent les auteurs.
Du côté du Cafi, on estime que l’urgence est de "continuer et renforcer le dialogue avec un pays où le couvert forestier est encore préservé, afin de trouver un consensus pour que les activités humaines, y compris dans et autour des tourbières, fassent le moins de dégâts possibles pour l’environnement et soient dans l’intérêt du développement du pays", explique Berta Pesti, cheffe du secrétariat de CAFI. "Il n’est ni du mandat ni du ressort de CAFI de vérifier s’il y a de telles réserves de pétrole ou pas", ajoute la cheffe du secrétariat.
Les émissions annuelles du Japon
Outre les bailleurs internationaux, c’est aussi les investisseurs que le Congo espère attirer. "Or les tourbières du Congo sont le dernier endroit sur terre où il faudrait envisager d’extraire des combustibles fossiles. Les enjeux environnementales et le contexte difficile au Congo font qu’il est fort possible que tout investissement pétrolier dans cette zone reculé se solde par des actifs irrécupérables", estime Colin Robertson, l’un des auteurs du rapport.
Le risque climatique est en effet très important. Global Witness a calculé que le bloc pétrolier de Ngoki pourrait abriter plus de 6 000 kilomètres carrés de tourbières renfermant 1,34 gigatonne de carbone – soit plus que les émissions annuelles du Japon si elles étaient toutes rejetées. De plus, Total et Shell ont toutes les deux renoncé à investir dans le projet pétrolier de Ngoki en 2015 après avoir vu les résultats d’une étude sismique et estimé qu’il ne serait pas rentable.
Total est en revanche toujours engagé dans le bloc Mokelembembe, au nord de Ngoki, dont il vient de recevoir l’attribution. Contacté par Novethic, le groupe précise que la région ayant "récemment été identifiée comme sensible d’un point de vue environnemental", il agira "avec toutes les précautions nécessaires." "Avant d’entreprendre des activités d’exploration, Total mènera des études aériennes et une étude d’impact environnemental" précise le porte-parole. Ce bloc abriterait plus de 10 000 kilomètres carrés d’écosystème de tourbières tropicales.
Concepcion Alvarez, @conce1
(1) Voir le rapport de Global Witness

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