Neuf ans après, revers judiciaire confirmé pour Vinci dans l’affaire des chantiers du Qatar. Le juge de la Chambre d’instruction de Versailles a ainsi validé la mise en examen de la division du groupe Vinci Construction Grands Projets. L’entreprise, qui avait fait appel de la décision en 2022, estimant qu’un manque de preuves et des questions de procédures rendaient la mise en examen nulle, a donc été déboutée.
Vinci est accusée de “réduction en servitude, travail forcé, conditions de travail et d’hébergement incompatibles avec la dignité humaine et obtention de services en échange d’une rétribution manifestement sans rapport avec l’importance du travail accompli”, dans le cadre des chantiers de la Coupe du Monde de football au Qatar de 2018. Contactée par Novethic, Vinci n’a pas souhaité faire de commentaires. Les faits devront désormais être instruits par un juge, avant un possible passage devant le tribunal.
“Un signal fort contre l’impunité de multinationale”
A partir de 2011, sur les chantiers qu’elle gérait pour la Coupe du Monde, la filiale de Vinci au Qatar aurait en effet employé de nombreux travailleurs migrants dans des conditions de travail extrêmement dégradées. L’association Sherpa, à l’origine de la plainte avec les parties civiles et d’anciens travailleurs, s’était ainsi rendue sur place en 2014 et avait recueilli les témoignages d’ouvriers décrivant un travail “sous plus de 45 degrés”, sans eau ou ombre, mais aussi “la rétention des passeports, un accès insuffisants aux douches et WC dans les logements, une nourriture à peine comestible.” Les travailleurs, pour la plupart très endettés, étaient alors contraints de travailler pour la filiale du constructeur, dans une situation apparentée à du travail forcé.
Il avait fallu sept ans pour que la plainte, déposée en 2015, donne lieu à une première mise en examen en 2022. La longue enquête avait permis de mettre en évidence des indices graves et concordants que l’entreprise donneuse d’ordre ait commis ou participé aux infractions constatées au sein de sa filiale. A l’époque, Sherpa saluait “un signal fort contre l’impunité des multinationales”, alors que, fait rare, une entreprise du CAC40 était mise en cause pour des faits de nature criminelle ayant eu lieu à l’étranger sur sa chaîne de valeur.
L’accès à la justice pour les anciens travailleurs
Pour l’association Sherpa, la confirmation de la mise en examen constitue aujourd’hui “un pas supplémentaire vers l’accès à la justice pour les anciens travailleurs” des grandes entreprises. Dans ces affaires, qui ont souvent lieu à l’étranger, il est en effet parfois difficile pour les travailleurs de faire valoir leurs droits. En reconnaissant le bien fondé de la plainte, le juge contribue donc à créer une jurisprudence qui permettra aux victimes de saisir plus facilement la justice française dans les cas de non respect des droits humains et environnementaux par les entreprises françaises au sein de leurs filiales. La justice a d’ailleurs déjà eu l’occasion d’auditionner comme témoins, en 2023 et 2024, plusieurs anciens travailleurs. Ces derniers ont d’ailleurs salué “le souci de justesse et de justice des juges français.”
La décision des juges de la chambre d’instruction de Versailles confirme donc un mouvement plus général de la justice française et européenne, qui reconnaît de plus en plus la responsabilité des grandes entreprises dans la gestion de leurs activités à l’étranger, au sein de leurs filiales et même chez leurs fournisseurs. Récemment, c’est la scierie française Pierre Robert qui a été condamnée pour trafic illégal de bois pour ne pas avoir procédé aux vérifications nécessaires auprès de ses fournisseurs. Et le corpus réglementaire autour de la responsabilité des multinationales ne cesse de s’étoffer. En France depuis 2017 la loi sur le devoir de vigilance impose ainsi aux entreprises de s’assurer du respect des droits humains et environnementaux tout au long de leurs chaînes de production. Elle a été complétée par la directive sur le devoir de vigilance européen votée en avril dernier, qui étend ces obligations aux grandes entreprises de plus 1000 salariés opérant en Europe.