La course à la taille de ces dernières années ferait-elle une halte ? Le mouvement de concentration dans le secteur de la notation ESG a vu émerger de grands noms dans le secteur, tels que Moody’s ESG solutions, Sustainalytics, MSCI, etc. Portées par l’essor de la finance durable, puis par la réglementation, ces grandes agences ont fait le plein de nouvelles solutions, en rachetant souvent des sociétés européennes. Mais aujourd’hui le marché semble avoir atteint un cap et, selon Hugh Wheelan, cofondateur de Responsible investor, ces agences commencent à réduire la voilure en termes d’effectifs.
Le journaliste a enquêté sur de nombreux départs de top managers chez Moody’s ESG Solutions, ESG Book, ou MSCI, ou encore les licenciements de 10% des salariés de Sustainalytics. Il en conclut que la recherche ESG de ces agences est loin d’être la poule aux œufs d’or que laissait espérer la généralisation de l’analyse ESG tant chez les entreprises que chez les acteurs financiers. Selon ses sources, la forte concurrence dans le secteur et la moindre demande des entreprises pour la notation ESG ont eu un impact fort sur l’activité des agences.
L’irruption de l’intelligence artificielle
Le métier même des agences ESG est aussi en train de changer, aussi bien du fait d’éléments internes aux agences que du fait de facteurs extérieurs. En interne, le recours à l’intelligence artificielle pour traiter et analyser les données pourrait ainsi expliquer des réductions d’effectifs à terme. Au risque de perdre en qualité… Dans un billet LinkedIn, Flavia Micilotta, experte en finance durable, ancienne membre du groupe d’expert technique européen sur la finance durable (TEG), s’en inquiète. “Maintenant que l’IA semble prendre le relais et être la solution à tout ce qui est ESG, et que le rôle de la notation ESG devient vraiment stratégique, faire sans l’élément humain pourtant critique qui était derrière les approches méthodologiques de ces acteurs paraît contre-intuitif“, déplore-t-elle.
Côté facteurs extérieurs, la bataille contre l’ESG, menée aux Etats-Unis par des élus Républicains, a sans doute freiné les demandes de la part d’entreprises. Le “greenhushing”, ou le fait de ne pas communiquer sur ses actions “vertes”, s’est particulièrement développé ces dernières années, les entreprises ne voulant pas prêter le flanc aux critiques virulentes de ces politiciens. Larry Fink, le PDG de Blackrock perçu aux Etats-Unis comme le chantre du wokisme, est ainsi régulièrement revenu sur ses positions sur le climat. L’agence S&P Global Ratings est quant à elle revenue à l’été 2023 sur sa pratique d’intégrer une note ESG dans ses analyses crédit sur les entreprises. Officiellement, pour éviter les confusions entre les deux notes, mais la pression anti-ESG reste forte.
Assainir le marché
En est-ce fini de la notation ESG, souvent taxée d’être trop opaque et de manquer de cohérence d’une agence à l’autre ? Les agences seraient plutôt en train de digérer leurs acquisitions de ces dernières années et d’affiner leurs modèles. C’est le cas d’Ethifinance, en France, qui a justement recruté cette année Julia Haake, ancienne de chez Moody’s ESG Solutions, en tant que directrice de la notation ESG. L’agence française veut développer ses analyses vers plus de qualitatif.
L’arrivée de la réglementation européenne pour rendre plus transparentes les agences ESG contribue peut-être aussi à remettre de l’ordre dans ce secteur. Elle va notamment obliger les agences à publier en détail leurs méthodologies, expliquer le poids des facteurs E, S et G dans leurs analyses, ou encore déclarer si elles opèrent une analyse en simple ou en double matérialité. Surtout, le secteur devra désormais répondre à la supervision de l’Esma, le gendarme des marchés financiers européen, au même titre que la notation financière.