Une bouteille ramassée sur une plage au Cameroun, un emballage repêché dans un cours d’eau au Laos ou dans une décharge à ciel ouvert de Mumbai et c’est un crédit plastique qui est généré. A l’autre bout de la planète, celui-ci est ensuite proposé à la vente pour les entreprises désireuses de réduire leur empreinte plastique. Voici le dernier-né sur le marché de la compensation lancé il y a peu sur le modèle de son ancêtre, les crédits carbone, qui existe depuis 30 ans.
“Les crédits plastiques permettent de financer des projets de collecte et de recyclage du plastique dans des pays qui n’ont pas de système de gestion des déchets. C’est ce qui explique en partie les importantes fuites dans les fleuves puis les océans, explique à Novethic Laura Peano, responsable “plastique” chez Quantis, cabinet de conseil en stratégie environnementale. L’intérêt c’est ainsi de donner une valeur économique au plastique – une incitation à le collecter – et d’enclencher une dynamique vertueuse pour créer des usines de recyclage”.
Neutralité plastique
Au bout de la chaine, les entreprises peuvent acheter ces crédits plastiques dans un objectif de neutralité plastique, sur le modèle de la neutralité carbone. Toutefois, tirant les leçons du passé, les entreprises ne doivent pas les considérer comme des “permis à polluer”, ajoute la spécialiste. “La priorité doit être si possible d’éviter de fabriquer les produits dont on n’a pas besoin, puis si vraiment on en a besoin, de réduire au maximum leur empreinte. Les crédits plastiques ne doivent arriver qu’après et non pas dans une logique de compensation”, argumente Laura Peano.
Une note du réseau Gaïa qui milite pour le Zéro déchet, publiée en mai 2023, alerte aussi sur les nombreux risques que présentent les crédits plastiques. “Les programmes de neutralité plastique nuisent aux efforts visant à réduire la pollution plastique”, conclut le réseau. “Les crédits plastiques créent une incitation financière à ne pas réduire ces déchets” du côté des collecteurs, qui sont poussés à en collecter toujours plus, et du côté des consommateurs, ils les “encouragent à continuer d’acheter du plastique en croyant à tort que cela n’aggrave pas le problème“, résument les auteurs.
Crédits éléphants, panthères, rangers…
Outre les crédits plastique, on voit aussi émerger de nombreux crédits liés à la biodiversité comme les crédits éléphants, les crédits océans, les crédits forêts, les crédits rangers… “Le marché biodiversité existe déjà puisqu’on peut acheter un hectare de forêt à protéger ou l’équivalent de trois années de protection avec un ranger pour telle espèce“, précise à Novethic Jean Burkard, directeur du plaidoyer au sein du WWF France. “Mais tout cela n’est pas encore régulé et est bien moins formalisé que pour le carbone”, ajoute-t-il.
Il y a environ un an, l’ONG s’est justement lancée avec son programme Nature Impact qui va permettre de protéger 15 000 hectares de forêts françaises “parmi les plus riches et les plus menacées” grâce à une contribution carbone et biodiversité. Près de 25 entreprises ont rejoint l’initiative dont La Banque Postale, le Groupe Bel, GRDF ou encore La Française des Jeux. Le prix maximum de la tonne de CO2 séquestrée est estimé à 100 euro, celui de la protection d’un hectare de forêt à environ 500 euros par an, pour 30 ans au moins.
“Marché balbutiant”
Les experts semblent en tout cas tomber d’accord sur le fait qu’il ne faut pas répéter les erreurs commises avec le marché carbone dont la transparence et la fiabilité ne cessent d’être remises en cause. “Notre ambition est de démontrer qu’il est possible de faire des crédits biodiversité – nous préférons parler de certificats – de façon qualitative, argue Jean Burkard. Par exemple, ces certificats ne peuvent être revendus afin d’éviter la spéculation. Nous refusons également certaines entreprises comme les pétroliers et nous nous assurons que les acheteurs ne soient pas dans une logique de compensation mais de contribution”.
La mission Goulard-Fawcett portée par la France et le Canada devra publier une série de recommandations sur le fonctionnement d’un futur marché biodiversité régulé lors de la COP16 Biodiversité qui se tiendra en Colombie à la fin de l’année. Pour ce qui est des crédits plastiques, le Traité mondial contre la pollution plastique actuellement en discussion n’évoque pas le sujet. “Mais de nombreux événements annexes sur les crédits plastiques sont organisés en marge des négociations officielles, témoigne Laura Peano. Pour l’instant, c’est un marché balbutiant et on constate que les entreprises sont de plus en plus vigilantes et réticentes à cause de ce qu’il s’est passé sur les marchés carbone.”