Publié le 17 juin 2025

Contre toute attente, les géants de la fast-fashion Shein, H&M et Inditex (Zara) ont vu leurs objectifs climatiques validés par la Science based target initiative, une référence mondiale. Pourtant, aucun d’entre eux ne prévoit de remettre en question son modèle basé sur la production en masse.

Au cœur de la polémique depuis plusieurs mois pour son impact environnemental, social et sociétal, Shein a pu se vanter, fin mai, d’avoir vu ses objectifs de décarbonation à court et moyen terme validés par la Science based-target initiative (SBTi), label de référence pour les entreprises mondiales. Et ce, à quelques jours seulement du vote par le Sénat de la loi anti fast-fashion.

“Nous avons franchi une étape importante dans notre démarche climatique avec l’initiative Science Based Targets (SBTi), qui a validé notre objectif de zéro émission nette d’ici 2050 et approuvé nos objectifs de réduction des émissions à court et long terme, se réjouit le groupe dans un communiqué de presse. Nos objectifs climatiques ont été validés conformément à la norme SBTi Net-Zero, conformément au dernier consensus scientifique sur le climat et à l’ambition de l’Accord de Paris de limiter le réchauffement climatique à 1,5°C par rapport aux niveaux préindustriels.”

Une note de 3,5/20

Le géant chinois de l’ultra fast-fashion vise à atteindre la neutralité carbone d’ici 2050. Pour cela, il fixe une réduction de ses émissions de gaz à effet de serre de 42% pour les scopes 1 et 2 (émissions directes) et de 25% pour le scope 3 (émissions indirectes) d’ici 2030, et de 90% sur les trois scopes à l’horizon 2050. Il s’engage également à atteindre un approvisionnement 100% en électricité renouvelable d’ici la fin de la décennie. Des objectifs qui ont donc été approuvés par SBTi.

Pourtant, pour Paris Good Fashion, qui regroupe ONG, marques, fédérations textiles pour une mode plus durable, Shein est loin d’être un bon élève avec une note de 3,5/20 et un score de E pour la cohérence et la crédibilité de leurs objectifs climatiques, E étant la note la plus basse. L’association pointe un “modèle économique incompatible avec les exigences bas carbone”, Shein mettant sur le marché “2,6 millions de nouvelles références en ligne” par an, “générant 16,7 millions de tonnes de CO2″.

Avec une “hausse de 80% des émissions de carbone entre 2022 et 2023”, les efforts mis en avant par l’entreprise (énergies renouvelables, matières durables) “sont marginalisés par l’explosion des volumes”, d’autant que le fret aérien représente 99,8% des volumes transportés (environ 1,8 million de tonnes par an), rappelle encore Paris Good Fashion.

“Abandonner un modèle axé sur la quantité”

Shein n’est pas le seul géant de la fast-fashion à être adoubé par SBTi. H&M ou encore Inditex, qui détient la marque Zara, ont également vu leurs objectifs de décarbonation à 2030 et 2050 validés par l’initiative ces dernières années. Pourtant, selon le Corporate Climate Responsibility Monitor de 2024, une enquête conduite par le think tank allemand New Climate Institute et par l’ONG basée à Bruxelles Carbon Market Watch, leurs engagements climatiques sont considérés comme “modérés”, sur une échelle allant de très élevés à très faibles.

Ainsi, la majorité des émissions du groupe H&M proviennent de la production de tissus, de la confection de vêtements et des matières premières (environ 92%). “Si l’entreprise affirme être en train de passer à un modèle de mode circulaire, elle ne mentionne pas l’impact d’une telle transition sur ses volumes de production, son utilisation intensive des ressources et son empreinte carbone”, pointe le rapport.

Il en est de même pour Inditex, qui entend privilégier les matières premières durables comme le coton biologique et investir dans des fibres innovantes pouvant remplacer le coton ou les fibres issues de combustibles fossiles comme le nylon. “Cependant, l’entreprise ne présente pas d’estimation précise des conséquences de ces mesures en termes de réduction des émissions”, indique encore l’étude.

Limites de la SBTi

On touche ici aux limites de la SBTi – régulièrement critiquée et dont la norme “zero net emission” va être revue – qui est pourtant toujours brandie par les grands groupes comme un sésame quand leurs objectifs ont été validés. Selon une analyse de Morningstar Sustainalytics, publiée en février dernier, “aucune des entreprises évaluées avec des objectifs SBTi validés ne dispose d’un plan de transition crédible aligné sur une trajectoire net zéro de 1,5°C”.

Les auteurs du Corporate Climate Responsibility Monitor sont clairs. “Pour parvenir à une décarbonation profonde, les détaillants de mode devront abandonner un modèle économique de fast fashion axé sur la quantité pour adopter un modèle de production moins gourmand en ressources”, concluent-ils. C’est notamment l’un des principaux objectifs de la loi anti fast-fashion, adoptée en 2024 à l’Assemblée nationale, mais vidée de sa substance lors de son passage au Sénat en juin. Elle se concentre désormais uniquement sur les géants chinois, à l’instar de Shein. Le texte doit désormais être débattu en Commission mixte paritaire, à la rentrée.

Les ONG appellent à élargir son périmètre. “Si on laisse intouchés les géants européens, alors cette loi n’est plus une loi de protection de l’environnement mais bien un texte de protection de la fast-fashion européenne face aux géants chinois, offrant un quasi-monopole à Zara, H&M et autre Primark pour continuer à cannibaliser le secteur”, réagit Pierre Condamine, chargé de campagne surproduction chez Les Amis de la Terre.

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