Le 17 octobre dernier, la cour d’appel de Rennes a confirmé la condamnation d’un élevage porcin breton, pour avoir déversé une importante quantité de lisier dans un cours d’eau du Finistère. Reconnue coupable de pollution en première instance par le tribunal correctionnel de Brest, la société Kerjean avait été condamnée le 29 juin 2023 à une amende de 200 000 euros, dont 100 000 euros avec sursis, mais aussi une interdiction de percevoir toutes aides publiques pendant un an.
Si l’amende a finalement été réduite à 150 000 euros, dont la moitié avec sursis, par la cour d’appel de Rennes, l’interdiction de recevoir des aides publiques a été, elle, bel et bien confirmée. “C’est une première”, selon Léon Leost, maître de conférences en droit à l’université de Brest et pilote du réseau Juridique de France Nature Environnement. “Il s’agit d’un domaine encore complètement inexploré. C’est le signe qu’il faut de la pédagogie en direction des parquets pour que ce nouveau type de peine soit prononcé”, explique t-il à Novethic.
Entre 100 000 et 300 000 litres de lisier
Car cette interdiction n’est pas anodine. L’éleveur n’a en effet pu bénéficier des aides liées à l’apprentissage, mais aussi à la Politique agricole commune (PAC). “Cela implique une charge financière beaucoup plus lourde pour l’entreprise condamnée, qui, ici, double le montant de l’amende pénale”, ajoute Léon Leost. Si l’avocate de l’entreprise bretonne y voit une peine “totalement disproportionnée”, pour Patrick Clérin, vice-président de la Fédération de pêche du Finistère interrogé par l’AFP, “c’est infime par rapport au préjudice écologique qui a été fait”.
Les faits remontent à 2021. Au mois d’avril, entre 100 000 et 300 000 litres de lisier issu de déjections animales, ont été répandus dans la Penzé, un fleuve côtier qui se jette dans la Manche, via l’un de ses affluents. Fortement concentré en ammoniaque, le lisier représente une importante source de pollution pour les milieux aquatiques, à court et moyen termes. Résultat, l’Office français de la biodiversité et les riverains constatent rapidement la mort de plusieurs centaines de poissons, comme des truites et des saumons, sur plusieurs kilomètres. La baignade et la pêche sont également interdites dans les cours d’eau.
A l’origine de cette pollution : la rupture et le débordement d’une canalisation de la fosse à lisier de la porcherie Kerjean, située à quelques centaines de mètres de la Penzé. L’élevage breton se distingue par sa taille. Il compte en effet plus de 20 000 porcs, bien au-delà de la moyenne des exploitations de la région qui se situe autour de 1 800 animaux, selon les chiffres de la Direction régionale de l’alimentation, de l’agriculture et de la forêt de Bretagne. Suivant l’incident, l’enquête aurait révélé “une demi-douzaine de manquements et de négligences” de la part de l’entreprise. L’éleveur n’aurait par exemple pas respecté un arrêté préfectoral de 2004 requérant une série de travaux au sein de l’exploitation portant notamment sur sa fosse à lisier, rappelle Mediapart.
Des pollutions récurrentes
Afin d’“obtenir une réelle et satisfaisante réparation des atteintes causées au milieu” et la “réparation du préjudice écologique“, plusieurs plaintes avaient été déposées, notamment par Eau et Rivières de Bretagne. L’association s’estime satisfaite de l’arrêt rendu par la cour d’appel. “Même si le montant de la peine fixé en première instance a été réduit, il demeure ajusté à la gravité de l’acte commis”, écrit l’organisation dans un communiqué. Elle souligne “une jurisprudence inspirante”, qui pourrait nourrir “la lutte contre la délinquance environnementale dont les eaux bretonnes font trop souvent les frais”.
La région fait en effet face à des pollutions récurrentes. En cause, la pression exercée par les exploitations. “Près de la moitié des élevages relevant de la législation des Installations classées pour la protection de l’environnement (ICPE) sont géographiquement répertoriés en Bretagne”, affirme Arnaud Clugery, directeur et porte-parole d’Eau et Rivières de Bretagne. Des sites qui se sont multipliés dans les années 70, avant de se mettre aux normes à la fin des années 90 afin de stocker correctement le lisier. Depuis, les fosses en béton se sont dégradées au contact des déjections, “au point qu’aujourd’hui, le phénomène d’accidentologie s’est aggravé”, nous confie Arnaud Clugery. En 2018, Eau et Rivières de Bretagne décomptait 23 pollutions au lisier dans le seul département du Finistère.