Publié le 14 octobre 2025

Appliquer une crème hydratante avec un filtre solaire tous les jours, une pratique poussée par de nombreuses influenceuses sur les réseaux sociaux, n’est pas forcément vertueux. Ces crèmes contiennent bien souvent de l’octocrylène, une substance qui contamine l’environnement. Les autorités sanitaires françaises viennent de demander son interdiction à l’Union européenne.

Crèmes solaires, cosmétiques, maquillage, parfums…Les autorités sanitaires françaises sonnent l’alerte. Dans un avis publié le 1er octobre dernier, l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses) appelle l’Union européenne à restreindre l’utilisation de l’octocrylène, une substance très utilisée dans les produits cosmétiques pour ses propriétés de filtre solaire, de photo-stabilisant et d’absorbeur UV. Elle a déposé un dossier de restriction auprès de l’Agence européenne des produits chimiques (ECHA) dans le cadre du règlement Reach sur les produits chimiques.

L’Anses met en avant les risques environnementaux liés à l’utilisation de l’octocrylène dans les milieux aquatiques et les sols pour la reproduction et la croissance des espèces aquatiques, des organismes vivants dans le sédiment et des organismes du sol. “Des risques inacceptables”, estime l’organisme dans son rapport. La substance contenue dans les produits appliqués sur la peau se retrouve en effet dans les eaux usées domestiques et les boues de station d’épuration. Elle contamine également les écosystèmes aquatiques directement lors des activités de baignade.

D’autres risques sur la santé humaine ont également été identifiés par l’Anses : potentielle toxicité pour la thyroïde, suspicion de toxicité pour la reproduction, suspicion de perturbation endocrinienne.  De précédentes études avaient déjà démontré qu’au fil du temps, l’octocrylène se transforme en benzophénone, un cancérogène et perturbateur endocrinien. Dès lors, l’Anses appelle à “réduire drastiquement” la concentration maximale autorisée d’octocrylène dans les produits cosmétiques pour tous les usages. “L’adoption de la restriction proposée conduira en pratique à la suppression de la mise sur le marché des produits cosmétiques contenant de l’octocrylène”, explique-t-elle.

Crèmes de jour et anti-âge

Pour les industriels, c’est loin d’être une surprise, les critiques sur l’octocrylène étant régulières depuis plusieurs années. En 2021, Hawaï avait ainsi mis le sujet au cœur de l’actualité en interdisant la vente des crèmes solaires comportant de l’octocrylène, en raison de son impact sur les coraux. “Le problème c’est que quatre ans plus tard, on manque toujours de données fiables et qu’il n’y a pas de consensus scientifique sur le sujet“, explique à Novethic Erwan Poivet, conseiller scientifique à la Febea, la Fédération française des entreprises de la beauté. Celle-ci constate ainsi l’écart entre les concentrations mesurées dans le milieu réel, “souvent très inférieures” à celles mesurées en laboratoires et exploitées par l’Anses. “Nous ne sommes pas contre une interdiction si celle-ci est fondée sur une évaluation scientifique et un risque avéré”, poursuit-il.

En outre, la Febea rétorque dans un communiqué que “la protection contre les dangers du soleil demeure une priorité de santé publique”. “Les chiffres de l’incidence des cancers cutanés renforcent la nécessité de maintenir des solutions de protection efficaces et sûres”, insiste-t-elle. Mais l’usage de l’octocrylène dépasse en réalité le seul périmètre des crèmes solaires, qui ont en effet besoin de ces filtres pour être efficaces. “Je me bats depuis des années pour que l’industrie cosmétique arrête de mettre des filtres partout, dans les crèmes de jour, le maquillage, les parfums… mais elle ne veut rien entendre. Elles persistent dans cette pratique irresponsable”, réagit Laurence Coiffard, experte en cosmétologie, interrogée par Novethic.

En 2023, elle a publié une étude dans la revue Environmental Science and Pollution Research démontrant que la présence de filtres UV ne se limite pas aux produits de protection solaire et est en réalité beaucoup plus large. Elle concluait que “dans un souci de santé publique, il semble judicieux de limiter l’utilisation des filtres UV à la seule formulation de produits de protection solaire”. “La problématique de l’octocrylène a basculé dans les crèmes de jour et anti-âge, en surfant sur cette mode présente dans les réseaux sociaux qui poussent les jeunes femmes à utiliser un filtre solaire 365 jours par an pour éviter l’apparition de rides. Mais c’est un jeu pervers parce qu’elles ne sont quasiment pas protégées contre les effets du soleil, elles exposent leur peau à cette substance dangereuse et elles en disséminent partout dans l’environnement”, regrette Laurence Coiffard.

Des bénéfices largement supérieurs aux coûts de la restriction

Selon l’Anses, environ 1 750 tonnes d’octocrylène sont utilisées chaque année en Europe dans les cosmétiques. Dans son évaluation, elle a calculé les impacts socio-économiques attendus sur le marché des produits cosmétiques et de la protection solaire. estime que cette substance est “remplaçable à faible coût”, de l’ordre de 39 millions d’euros par an de 2027 à 2036, soit 0,04% des ventes de cosmétiques en Europe. Elle ajoute que les bénéfices seraient largement supérieurs (allant de 26 à 49 milliards d’euros) aux coûts de la restriction (allant de 166 à 354 millions d’euros). “Une interdiction entraînera certainement la disparition de certaines crèmes et pour les autres, un surcoût pour le consommateur”, estime quant à lui Erwan Poivet.

Au sein de l’industrie cosmétique, deux courants existent selon lui : les entreprises qui sont déjà sorties de l’octocrylène et celles qui sont vent debout contre une interdiction. Contactées par Novethic, les grandes marques n’ont pas donné suite à nos sollicitations, à l’exception de Clarins. “L’octocrylène n’entre pas dans la composition des soins anti-âge, à l’exception de ceux qui comportent une protection solaire. En effet, l’exposition solaire sans protection constitue un des principaux facteurs d’accélération de l’apparition des signes de l’âge (rides, perte de fermeté, taches…)”, explique la marque. Sur le site de L’Oréal, géant français des cosmétiques, une page est consacrée à l’octocrylène dans la rubrique au cœur de nos ingrédients“.

L’UFC-Que Choisir classe l’octocrylène parmi les ingrédients indésirables depuis 2021. Elle constate que si la substance est nettement moins présente qu’il y a quelques années, de grandes marques continuent à l’utiliser à l’instar du “stick solaire invisible SPF 50 de Clarins, du soin Effaclar Duo SPF 30 de La Roche-Posay, du fluide antitaches SPF 50 teinté de Roc, du sérum UV Filters SPF 45 de The Ordinary, de la Dramatically different moisturizing lotion de Clinique et surtout, de la grande majorité sinon la totalité des produits solaires ou des soins de jour assortis d’un filtre anti-UV de la marque Shiseido”.

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