L’élevage intensif n’est pas l’apanage des grands pays producteurs de viande, comme les Etats-Unis ou le Brésil. Sur le Vieux Continent aussi, ce modèle prend de l’ampleur selon une enquête menée par Agtivist, un consortium de journalistes européens. Au total, plus de 24 000 mégafermes ont été décomptées en 2023 à travers l’Europe grâce à des registres publics, des images satellites ou encore des bases de données nationales. Ce chiffre, qui se compose de 11 672 élevages de porcs et 12 415 élevages de volailles, pourrait même être largement en dessous de la réalité, soulignent les auteurs.
C’est l’Espagne qui remporte la palme du pays abritant le plus de fermes-usines avec un total de 3 963 élevages. Mais la France arrive juste derrière. L’Hexagone rassemble en effet 3 075 exploitations de taille industrielle, dont 2 342 élevages de volailles, se plaçant en tête sur ce segment. Suivent l’Allemagne, les Pays-Bas et l’Italie. Toutes ces fermes sont soumises à la réglementation européenne sur les émissions industrielles, qui s’appliquait en 2023 à partir de 40 000 volailles, 2 000 porcs à l’engraissement et 750 truies. Mais certaines accueillent des cheptels bien plus importants, allant jusqu’à 1,4 million de poulets et plus de 30 000 porcs.
Près de 3 000 nouvelles fermes-usines
Et si leur taille augmente, leur nombre aussi. Entre 2014 et 2023, “au moins 2 949 nouvelles fermes à échelle industrielle” ont obtenu une autorisation. Selon les auteurs de l’investigation, cette croissance serait le résultat d’une pression économique alimentée par la concurrence internationale, couplée à un affaiblissement des réglementations environnementales. A cela s’ajoute un fort soutien financier via la politique agricole commune européenne (PAC), dont les subventions seraient davantage favorables aux grandes exploitations.
Pourtant, les conséquences du modèle intensif sont multiples. “Nous devons reconnaître les coûts externes cachés, notamment les impacts environnementaux tels que la dégradation des sols, la pénurie d’eau, les émissions de méthane et les impacts sur la santé humaine tels que la résistance aux antimicrobiens”, dénonce auprès du collectif Agtivist Tilly Metz, eurodéputée du Parti vert. En outre, le secteur de l’élevage, comprenant les fermes conventionnelles et intensives, est à l’origine de 12 à 17% des émissions de gaz à effet de serre de l’Union européenne selon les données du Bureau européen de l’environnement.
En France, tandis que les exploitations industrielles sont accusées d’entraîner une pollution au méthane, les mégafermes de porcs sont régulièrement pointées du doigt pour leur rôle dans la propagation d’algues vertes toxiques, en particulier en Bretagne. Développés au nom de la souveraineté alimentaire, ces élevages dépendent par ailleurs des importations d’engrais et de matières végétales destinées à l’alimentation des animaux, comme le démontrait le Réseau Action Climat (RAC) dans un rapport publié en février dernier. En 2022, 3 millions de tonnes de soja ont ainsi été acheminées vers l’Hexagone à cet effet, principalement depuis l’Amérique du Sud.

Vers un rehaussement des seuils ?
Au niveau économique, l’élevage industriel fait également des dégâts. Selon une analyse de Greenpeace, il aurait engendré la disparition de 100 000 fermes et de 80 000 emplois sur le territoire entre 2010 et 2020. Pour autant, la filière ne montre aucun signe de ralentissement. Contactées par l’AFP, les interprofessions du porc et de la volaille, qui estiment que les fermes françaises relèvent plutôt de modèles “familiaux”, réclament même un rehaussement des seuils d’autorisation à 85 000 animaux pour les poulets, 60 000 pour les poules pondeuses et 3 000 pour les cochons, au-delà de la réglementation européenne.
C’est la direction prise par la proposition de loi Duplomb. Le texte, et plus précisément son article 3, prévoit un assouplissement des procédures d’autorisation environnementale. Une disposition qui “pourrait conduire au doublement du nombre d’élevages industriels et du nombre d’animaux enfermés dans ces exploitations. Une pente extrêmement dangereuse pour notre modèle d’élevage” s’inquiète un collectif de six organisations, dont Greenpeace, le RAC et la Fondation pour la Nature et l’Homme, dans une lettre ouverte adressée aux députés. Fortement controversée, la proposition de loi devrait être discutée en Commission mixte paritaire le 30 juin prochain, avant un vote solennel début juillet.