Publié le 24 septembre 2025

Dans une enquête choc, Greenpeace dénonce la contamination de notre alimentation à l’hexane, un solvant de la famille des hydrocarbures. L’association pointe la responsabilité des acteurs de l’agro-industrie, qui démentent de leur côté tout risque sanitaire.

Vers un nouveau scandale sanitaire ? A l’issue d’une enquête d’un an, Greenpeace a dévoilé lundi 22 septembre un rapport dénonçant la contamination de produits de grande consommation à l’hexane. Ce solvant, qui fait partie de la famille des hydrocarbures, est aujourd’hui largement utilisé par les agro-industriels dans le processus de transformation de graines oléagineuses, comme le colza ou le tournesol, en huiles végétales. Selon l’association environnementale, l’hexane leur permettrait “d’optimiser les rendements”.

Son usage est pourtant loin d’être anodin. Greenpeace affirme avoir retrouvé des résidus de cette substance dans plusieurs produits alimentaires vendus dans la grande distribution. Si les huiles végétales sont les premières concernées par un risque de contamination, elles ne sont pas les seules. Les animaux d’élevage – volailles, porcins et bovins – peuvent également être contaminés via les tourteaux avec lesquels ils sont nourris. La viande, mais aussi le beurre ou le lait, y compris le lait infantile, sont aussi suspectés de contenir des résidus d’hexane.

Une substance neurotoxique avérée

Lors d’une analyse commandée par Greenpeace et menée par un laboratoire universitaire, 36 aliments testés sur 56 comportent des résidus de ce solvant. C’est le cas par exemple de l’huile Isio 4 Lesieur, qui contiendrait 0,08 mg/kg de n-hexane, du beurre tendre demi-sel Elle & Vire avec 0,06 mg/kg de n-hexane ou encore du lait infantile en poudre Blédina pour les nourrissons de 6 à 12 mois, où des résidus d’hexane ont été détectées jusqu’à 0,05 mg/kg. Problème, cet hydrocarbure est “une substance neurotoxique avérée”, alerte Greenpeace. Il est en outre considéré comme un “potentiel perturbateur endocrinien”.

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Dans un communiqué publié dans la foulée, la Fédération Nationale des Corps Gras (FNCG) signale de son côté “des allégations de nature à tromper le consommateur”. L’organisme, qui représente les industriels du secteur des matières grasses végétales et animales, affirme que la “fiabilité” des mesures communiquées par Greenpeace “pose question”, “aucun laboratoire accrédité pour de telles analyses ne se déclar[ant] aujourd’hui capable d’atteindre un seuil de détection aussi bas”. La FNCG souligne également que la limite réglementaire de résidus d’hexane autorisés dans l’alimentation est de 1 mg/kg, soit douze à vingt fois supérieure aux données récoltées par l’association.

Un seuil qui s’appuie néanmoins “sur des études datant de 1996, fournies par les industriels eux-mêmes”, dénonce Greenpeace. “Qu’il s’agisse du nitrite, des polluants éternels, des pesticides, ou de l’hexane, on retrouve toujours le même problème fondamental : en s’appuyant sur certaines études, les agences sanitaires affirment qu’au-dessous d’une certaine dose, la substance ne représente aucun risque, explique auprès du média Basta! Guillaume Coudray, journaliste d’investigation et auteur d’un ouvrage sur le sujet*. Concernant l’hexane, les doses retenues ne l’ont pas été en fonction de tests qui auraient prouvé une véritable innocuité. Elles ont généralement été définies en fonction de la dose minimale que pouvaient obtenir les industriels.”

“L’hexane n’est pas une fatalité”

Les auteurs du rapport pointent notamment la responsabilité du groupe Avril, l’un des plus importants acteurs agro-alimentaires français, dans ce potentiel scandale sanitaire. Propriétaire de plusieurs grandes marques comme Lesieur et du leader français de l’alimentation animale Sanders, il serait selon l’ONG “le premier utilisateur agro-industriel d’hexane en France”, 90% des graines traitées par le groupe étant transformées grâce à un procédé faisant appel à l’hexane. “Cette position lui confère une influence majeure, non seulement sur les orientations industrielles de la filière, qui continue à avoir massivement recours à l’hexane pour sa rentabilité, mais aussi sur les instances professionnelles et politiques”, avance Greenpeace. Contacté par Novethic, le groupe Avril réfute les résultats présentés par l’ONG. “Les résultats d’analyse dont nous disposons, réalisés dans des laboratoires certifiés avec des limites de quantification de 0,1 mg/kg, indiquent l’absence d’hexane dans les huiles que nous commercialisons”, écrit l’entreprise.

Faute d’une législation adaptée, la présence d’hexane dans notre alimentation n’est par ailleurs pas indiquée sur les étiquettes car le solvant est considéré comme un “auxiliaire technologique” et non un additif. L’association appelle ainsi à interdire purement et simplement son utilisation dans les procédés de fabrication des produits alimentaires. Bien que le groupe Avril assure n’avoir à ce jour pu trouver “une alternative concluante”, Greenpeace met en avant d’autres procédés, à l’instar de l’extraction par pression “à froid”. L’usage de l’hexane est en outre interdit dans le cahier des charges des produits issus de l’agriculture biologique.

“Comme le prouve le label Bio, l’hexane n’est pas une fatalité : c’est le choix d’industriels qui préfèrent maximiser la production d’huiles plutôt que de préserver la santé humaine, estime Sébastien Loctin, fondateur du collectif En Vérité et de la marque Quintesens. L’urgence aujourd’hui n’est pas seulement d’alerter, mais de changer les règles du jeu : il est temps d’interdire les procédés dangereux et de rendre obligatoire l’information sur les étiquettes des produits alimentaires”. Face à ces alertes, la situation pourrait prochainement évoluer en ce sens. Le 18 septembre, le député Richard Ramos (MoDem) a annoncé le lancement d’une mission parlementaire dans le but de “préparer l’interdiction de ce solvant au profit de solutions respectueuses de la santé et de l’environnement”.

* De l’essence dans nos assiettes. Enquête sur un secret bien huilé, La Découverte, 18/09/25.

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