Publié le 6 novembre 2024

Alors qu’en France et plus largement en Europe, des voix commencent à réclamer un recul des ambitions de la CSRD sur le reporting de durabilité, de nombreux acteurs économiques s’inquiètent. Groupes d’entreprises, organisations patronales, experts de la transformation durable ou encore responsables RSE défendent une directive jugée “essentielle” et utile pour la compétitivité.

La CSRD (Directive sur le reporting de durabilité des entreprises), pierre angulaire du Green Deal européen, subit des attaques répétées ces dernières semaines. La dernière en date émane d’Antoine Armand, le ministre de l’économie Antoine Armand, qui veut limiter le nombre d’entreprises concernées et d’indicateurs obligatoires, indique-t-il dans une interview aux Echos. Le premier ministre Michel Barnier proposait quant à lui un moratoire sur la CSRD il y a une dizaine de jours, le chancelier allemand s’est prononcé contre les obligations de reporting, et des lobbies du secteur privé sont allés jusqu’à demander un report de l’entrée en vigueur du texte.

Cet enchaînement de déclarations anti-CSRD dans le débat public inquiète certains acteurs économiques. Des entreprises de toutes tailles soumises aux obligations de reporting, ainsi que des spécialistes de la transformation durable s’alarment ainsi de voir cette réglementation pionnière affaiblie. Dans une lettre ouverte, plus de 180 organisations de la société civile et une soixantaine de grandes entreprises, dont Decathlon, Ikea, Patagonia, Accor ou encore Nestlé, ont ainsi appelé à soutenir la CSRD et les réglementations européennes.

“Nous soutenons fermement le Green Deal européen et sa poursuite [et] nous savons que les normes européennes en matière de nature, de biodiversité et de climat ne sont pas un problème mais une partie essentielle de la solution” affirment ainsi les signataires, pour qui une remise en cause de la CSRD “risque de pénaliser injustement les entreprises qui ont déjà investi pour se conformer aux normes environnementales.” En France, le Mouvement Impact France, organisation patronale qui rassemble des entreprises engagées dans la transition écologique et sociale, estime que “repousser des réglementations comme la CSRD reviendrait ainsi à déstabiliser les stratégies longuement construites, au moment même où une stabilité est cruciale pour avancer.” 

“Les entreprises ont envie d’y aller, aidons-les à aller de l’avant”

“Dans la réalité, de très nombreux acteurs économiques sont favorables à cette réglementation : le Mouvement Impact France, le Collège des Directeurs du Développement Durable, le Centre des Jeunes Dirigeants, toutes les entreprises engagées dans la transformation durable et bien d’autres” commente de son côté Bertrand Desmier, consultant spécialisé. Pour les grandes entreprises, déjà soumises à la DPEF (Déclaration de Performance Extra-Financière) depuis plusieurs années, la CSRD ne constitue en effet généralement qu’une étape supplémentaire dans des procédures de reporting déjà bien engagées. “Tout l’écosystème économique est déjà mobilisé sur le sujet : les grandes entreprises, les cabinets d’audit et de conseil, l’Autorité des Normes Comptables, l’Autorité des Marchés Financiers, la Haute Autorité de l’Audit les organisations patronales… le train est parti en 2023 et les grands Corporate livreront comme prévu dès 2025”, lance Sébastien Mandron, administrateur du Collège des Directeurs du Développement Durable (C3D). Pour la plupart des grandes entreprises ayant déjà engagé les dépenses et les moyens pour leurs reportings, dus pour 2025, l’intérêt d’engager un moratoire sur la CSRD paraît dès lors discutable.

Patrick d’Humières, consultant spécialisé dans le management durable, estime par ailleurs que certains représentants d’intérêts du secteur privé, Medef en tête, “font preuve de beaucoup d’hypocrisie” concernant la CSRD. D’un côté, des représentants du Medef défendent la CSRD comme Jean-Baptiste Baroni, directeur adjoint à la transition écologique de l’organisation patronale qui déclarait suite à une conférence : “Les entreprises ont envie d’y aller : aidons les à aller de l’avant. […] Le technique tend à déclencher l’angoisse mais demain le retour d’expérience permettra de faire de la CSRD une langue commune”, ajoutait-il, conscient que la CSRD est une opportunité pour “transformer les modèles d’affaires”. D’un autre côté, le Medef s’oppose régulièrement aux réglementations européennes sur la durabilité dans ses communications institutionnelles. Il y a quelques mois, dans une interview au Journal des Entreprises, Patrick Martin, président du Medef, appelait par exemple à “réviser la CSRD”, qualifiée de “traumatisante” pour les chefs d’entreprise.

Reste la question des ETI et surtout des PME, pour qui la réglementation peut en effet s’avérer lourde si elle n’est pas correctement mise en œuvre (à partir de 2026 pour les entreprises de plus de 250 salariés, et 2027 pour les PME cotées). “Il faut sans doute envisager une méthode partenariale, où les donneurs d’ordre accompagnent les PME dans leur reporting de durabilité”, concède ainsi Patrick d’Humières. Pour autant, la complexité de la norme pour les PME, qui bénéficient de standards spécifiques allégés, ne semble pas insurmontable pour certains spécialistes du secteur. “Contrairement à ce que racontent les partisans d’un moratoire sur la CSRD, les dirigeants de PME et ETI ne sont pas laissés seuls face à la complexité de la directive”, explique ainsi Martin Richer, spécialiste du management de la RSE. L’expert met notamment en avant les initiatives du Portail RSE développé par la Direction Générale des Entreprises de Bercy, pour offrir aux dirigeants “un environnement fiable leur permettant de prendre la mesure de la nouvelle réglementation et de les guider sur son appropriation, de manière rigoureuse et pragmatique.” 

La CSRD comme avantage compétitif

La CSRD est même vue par beaucoup d’acteurs comme un outil positif de transformation de leur business. Dans une étude récente, le cabinet de conseil PwC montrait ainsi que la majorité des entreprises européennes voient dans la CSRD une opportunité pour rester en avance sur les entreprises chinoises ou américaines en matière de planification durable notamment. Bertrand Desmier, spécialiste du secteur, abonde : la CSRD “c’est un levier de transformation durable, mais derrière ce vocable, elle permet surtout d’engendrer de l’innovation, d’embarquer les fournisseurs, de sécuriser ses risques sociaux et environnementaux, de désiloter les stratégies RSE, et tout cela produit même in fine de la compétitivité.” explique-t-il. Sébastien Mandron estime même qu’en mettant un frein à la CSRD, on risque de faire perdre aux entreprises françaises et européennes “un avantage compétitif”. “On est en avance, surtout en France, sur le sujet du reporting, et on a donc tout intérêt à continuer à avancer”, explique-t-il.

Dans un monde où la prise en compte des enjeux extra-financiers devient de plus en plus nécessaire, l’Europe pourrait ainsi être pionnière en matière d’anticipation des risques ESG (environnementaux, sociaux et de gouvernance). “L’erreur est peut être d’avoir appelé cette directive “directive sur le reporting”, car la notion de reporting est un repoussoir qui évoque un exercice chronophage, onéreux, inutile, alors qu’en réalité, la CSRD est un exercice de planification stratégique essentiel”, estime Bertrand Desmier. Mais quel que soit son nom, pour beaucoup d’acteurs économiques, la CSRD doit être préservée. “Se poser la question de comment son modèle économique peut être affecté par le changement climatique, le franchissement des limites planétaires ou les risques sociaux, c’est devenu un sujet d’actualité au regard des catastrophes naturelles qui se matérialisent tous les jours ! Il vaut mieux se poser la question trop tôt que trop tard”, conclut Sébastien Mandron.

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