Les réglementations sur la durabilité des entreprises ont décidément la vie dure en Europe. Alors que Michel Barnier proposait il y a quelques jours un moratoire sur la CSRD, la directive sur le reporting de durabilité des entreprises, c’est désormais le chancelier allemand Olaf Scholz qui s’en prend à la loi allemande sur le devoir de vigilance, la fameuse Lieferkettensorgfaltspflichtengesetz (LkSG).
Lors d’une réunion avec les organisations patronales à Berlin, le chancelier a ainsi annoncé aux chefs d’entreprise allemands que cette loi, l’une des rares en Europe à obliger les multinationales à identifier, anticiper et prévenir les atteintes aux droits humains et environnementaux tout au long de leur chaîne de valeur, “allait disparaître” avant la fin de l’année selon le média Der Spiegel. Objectif pour le chancelier, réduire “à la tronçonneuse” le “poids bureaucratique” de la réglementation, notamment en matière de reporting. Une annonce vivement critiquée par les associations de protection des sociale et écologique : “la loi sur la chaîne d’approvisionnement n’est pas une bureaucratie de luxe ou inutile. Elle protège les maillons les plus faibles des chaînes d’approvisionnement internationales contre les abus et les exploitations”, déclare ainsi Steffen Vogel, chargé de mission chez Oxfam Allemagne, dans un communiqué, en dénonçant le possible affaiblissement de la LkSG.
Un affaiblissement de la loi ?
La déclaration du chancelier survient à peine quelques semaines après celles de son vice-chancelier et ministre de l’économie Robert Habeck, qui avait lui aussi appelé à une refonte de la loi sur le devoir de vigilance allemand et critiqué le poids réglementaire qu’elle ferait peser sur les entreprises allemandes. Il faut dire que le débat autour de cette loi n’a fait que se renforcer en Allemagne depuis son entrée en vigueur en 2023.
La LkSG oblige en effet toutes les entreprises allemandes de plus de 1 000 salariés à établir un reporting et un plan de vigilance sur l’ensemble de leur chaîne de valeur pour prévenir les abus en matière de droits sociaux et environnementaux. Une obligation perçue par les employeurs comme une charge, alors que les ONG y voient au contraire un levier de protection des travailleurs et de l’environnement. Le Deutschen Arbeitgeberverbände (BDA) qui représente intérêts patronaux allemands, et qui dénonçait depuis plusieurs mois le “fardeau réglementaire” de la LkSG ont évidemment accueilli positivement la déclaration du chancelier, et assuré par la voix de son président Rainer Dulger attendre les résultats de cette promesse, selon ZDF.
La transposition du devoir de vigilance en question
Alors, la loi allemande peut-elle vraiment disparaître ? C’est toute l’ambiguïté sur laquelle semble jouer le chancelier Olaf Scholz. En effet, la loi sur le devoir de vigilance européen, la CSDDD (Corporate Sustainable Due Diligence Directive) votée en avril dernier à Bruxelles doit de toute façon être transposée dans le droit national par les autorités allemandes avant 2026 et a vocation à remplacer la loi allemande. Toute la question est de savoir si lors de la transposition de la directive européenne, l’Allemagne choisira de conserver une partie des dispositions de la LkSG, plus ambitieuse notamment en termes de seuil d’applicabilité. Ces déclarations signent peut-être la volonté pour Olaf Scholz de donner des gages au secteur privé, avant une transposition a minima du devoir de vigilance européen. La position du chancelier sur le reporting a également de quoi interroger alors que l’Allemagne vient d’être mise en demeure par la Cour de Justice Européenne pour ne pas avoir transposé dans son droit national la CSRD, qui instaure justement des obligations de reporting analogues à celles de la LkSG.
Dans ce contexte, la société civile et les associations s’inquiètent de retours en arrière en matière de réglementations sociales et environnementales. Heike Drillisch, porte-parole de l’association citoyenne de surveillance de la LkSG a ainsi dénoncé des “déclarations trompeuses” du chancelier, et appelé à des clarifications rapides, pour garantir que les dispositions légales soient préservées, compte tenu de leur “rôle important dans la durabilité des chaînes d’approvisionnement”, et la prévention de risques comme le travail des enfants dans les activités des multinationales.