Publié le 28 octobre 2025

La polémique enfle autour de l’accord signé entre le groupe La Poste et la plateforme chinois Temu. Mais du côté des salariés, qui dénoncent depuis plusieurs mois un manque d’effectifs, c’est surtout l’afflux potentiel de milliers de colis supplémentaires à distribuer qui suscite l’inquiétude. Ils craignent notamment une accélération de la précarisation de leurs métiers.

Les géants de l’e-commerce chinois continuent d’avancer leurs pions. Après le partenariat très décrié entre le BHV Marais et la marque d’ultra fast-fashion Shein, c’est au tour de la plateforme Temu d’annoncer la signature d’un accord-cadre avec le groupe La Poste. Dévoilée le 15 octobre dernier, cette "collaboration commerciale de prestations logistiques" vise à renforcer la livraison dans l’Hexagone des articles à très bas prix commercialisés par Temu.

Si La Poste distribue déjà depuis 2023 les colis expédiés par l’entreprise chinoise, elle s’engage par cette alliance à mettre les services assurés par sa filiale Colissimo à disposition des vendeurs tiers présents sur la marketplace opérée par Temu. Elle pourra également proposer l’entreposage de marchandises dans ses plateformes logistiques. Interrogée par Novethic sur ce choix, La Poste affirme "travailler avec tous les commerçants et e-commerçants (quelles que soient leur tailles et leur nationalités)" et avoir "besoin de tous les flux de colis possibles pour alimenter son outil industriel toute l’année et garantir l’activité de livraison par les facteurs".

"Sera-t-on assez nombreux ?"

Car La Poste cherche à transformer son modèle en profondeur pour compenser l’érosion de l’envoi de courriers. Entre 2019 et 2023, le nombre de lettres a en effet diminué de plus de 62%, creusant au passage les recettes de l’entreprise. Conséquence directe de cette évolution, l’acheminement de colis représente aujourd’hui plus de 50% du chiffre d’affaires de La Poste, contre seulement 29% en 2014. Parmi ce flux, 22% des paquets distribués en France proviendraient de Shein et Temu, selon des chiffres partagés fin 2024 par Philippe Wahl, alors PDG du groupe.

Le partenariat signé avec Temu est néanmoins loin de rassurer les salariés de La Poste. "Avec cet accord, les volumes de colis vont exploser. Et qui va en payer le prix ? Les postières et postiers du groupe", écrit dans un communiqué la CGT FAPT qui redoute "des tournées toujours plus lourdes et plus longues. Des cadences qui explosent, au mépris de la santé et de la sécurité". Classé troisième site internet le plus consulté lors du deuxième trimestre 2025 par la Fédération e-commerce et vente à distance (Fevad), Temu attire plus de 22 millions de visiteurs par mois. Ce succès risque de démultiplier le nombre de paquets d’ores et déjà distribués par les facteurs qui pourraient alors atteindre "150 à 200 millions de colis" selon Sud PTT.

"On va expliquer aux salariés que le courrier baisse et qu’il faut tout prendre. Mais sera-t-on assez nombreux pour le faire et à quel prix ?", questionne Pascal Frémont, représentant syndical au sein de Sud PTT, interrogé par Novethic. Pour faire face à l’augmentation globale du nombre de colis à livrer, le syndicat appelle à la création de 10 000 postes. Mais la réalité pourrait être toute autre. "En plus des mauvaises conditions de production des produits Temu, nous craignons que ce soient des personnels sous-traitants ou intérimaires, donc précaires, qui soient recrutés pour distribuer ces colis en plus", détaille Pascal Frémont. Une précarisation des métiers, à laquelle s’ajoute un manque de moyens et d’effectifs dénoncés depuis plusieurs mois par les salariés. En neuf ans, le nombre de postiers aurait ainsi baissé de près de 29%.

Levée de boucliers

D'autres y voient plutôt un intérêt pour l'emploi, conditionné aux réglementations actuellement discutées au sein de l'UE. La F3C CFDT s’inquiète ainsi des "effets collatéraux" des dispositions européennes annoncées pour limiter le "flux massif" de colis provenant de Chine. Parmi les mesures qui pourraient prochainement entrer en vigueur se trouve notamment l’instauration d’une taxe de deux euros sur ces "petits" envois. "Pour contourner ces nouvelles contraintes, des plateformes comme Shein ou Temu pourraient implanter davantage d’entrepôts en Europe, transférant ainsi une part importante des volumes hors du réseau postal international", avance le syndicat qui y voit un danger pour "plusieurs milliers d’emplois".

Le sujet dépasse ainsi les frontières d’un simple accord logistique, provoquant de vives réactions jusque dans la sphère politique. Alors que l’Alliance du commerce et la fédération Procos questionnent la "cohérence de l’action publique" qui entend elle aussi taxer les colis expédiés par Shein et Temu, la Fevad appelle les "autorités françaises et européennes" à "agir sans délai pour faire respecter nos règles et sanctionner les manquements". Interrogé sur TF1 le jeudi 23 octobre, Serge Papin, ministre des PME, du Commerce, de l’Artisanat, du Tourisme et du Pouvoir d’achat, a dénoncé le partenariat. "Je ne vais pas le laisser faire, a-t-il expliqué. Le commerce, c’est la vie en ville, c’est du lien. En tendance, on est à 15% de rideaux tirés. Donc, il faut absolument que l’on réagisse à ça, que l’on résiste à ça".

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