Les discussions se précisent autour de la fameuse loi européenne omnibus. Alors que doivent s’ouvrir au Parlement européen demain, mardi 1er avril, les débats autour de la proposition de simplification des principales réglementations du Green Deal sur la transformation durable de l’économie, les clivages commencent à se faire de plus en plus nets entre les acteurs européens. Le Conseil européen a ainsi adopté le 26 mars sa position officielle en matière de simplification, en soutenant globalement les propositions de dérégulation mises sur la table par la Commission européenne. Mais dans le même temps, ceux qui voudraient maintenir les ambitions de transformation durable de l’Europe commencent à se structurer. La veille, une coalition d’acteurs regroupant syndicats, organisations patronales, organisations de la société civile ainsi que les partis progressistes au Parlement européen, notamment la gauche, les Verts et le groupe Renew, lançait sa mobilisation pour préserver le Green Deal et notamment la CSRD (directive sur le reporting de durabilité) et la CS3D (directive sur le devoir de vigilance européen).
“Nous sommes très inquiets, avec la Confédération européenne des syndicats, sur l’omnibus porté par la Commission européenne, main dans la main avec Business Europe”, déclarait ainsi Sophie Binet, secrétaire générale de la CGT, appelant l’Europe à continuer à faire respecter ses valeurs sociales et environnementales. Une position soutenue entre autre par Pascal Demurger, co-président de l’organisation patronale du Mouvement Impact France, qui rappelait l’importance du cadre réglementaire européen sur le reporting de durabilité pour la défense de la compétitivité et de la résilience européenne.
Vers un accord de la droite aux écologistes pour une simplification raisonnée ?
Les discussions pourraient s’avérer compliquées dans les prochaines semaines entre ces défenseurs d’une Europe durable et sociale d’un côté, et les partisans de la dérégulation. “Il y a deux majorités possibles au Parlement autour de cet omnibus”, résume Pascal Canfin, eurodéputé chargé des négociations sur l’omnibus pour le groupe Renew. “Une majorité des progressistes pro-européens, qui irait du PPE (Parti populaire européen, de droite, ndlr) à la gauche et aux Verts en passant par Renew pour défendre notre modèle social et écologique, et une majorité rassemblant la droite et l’extrême-droite contre le Green Deal”. L’eurodéputé a ainsi multiplié ces dernières semaines les appels du pied à l’égard de la droite européenne, et notamment du PPE, appelée à “prendre ses responsabilités” en choisissant de mettre en œuvre une simplification raisonnable préservant les objectifs du Pacte Vert.
Mais trouver un accord avec la droite, offensive depuis plusieurs mois sur le sujet, risque d’être complexe. Jörgen Warborn, eurodéputé suédois récemment nommé négociateur pour le PPE a pour l’heure plutôt montré des signes de fermeture. “Déréglementation” ou simplification, peu importe le mot que vous utilisez, il faut réduire les coûts pour les entreprises”, déclarait-il lors des débats parlementaires il y a quelques jours. Pourtant, les progressistes semblent vouloir croire à un possible accord, misant sur un compromis raisonnable. “On doit montrer que notre modèle européen social et écologiste est un facteur de compétitivité et de résilience, notamment face aux attaques que subissent nos démocraties dans le contexte actuel”, commente Raphaël Glucksmann, eurodéputé socio-démocrate, qui appelle les forces européennes à résister aux logiques de dérégulation trumpistes.
Omnibus : quid de la position française ?
Dans ce débat, la France pourrait avoir un rôle crucial à jouer, notamment pour infléchir la position des Etats les plus opposés au Green Deal au Conseil, dans le cadre du trilogue qui s’ouvre. Interrogé à l’Assemblée nationale sur le sujet, Eric Lombard, ministre de l’Economie et représentant de la France aux conseils économiques et financiers européens, a assuré que “la France a été l’un des principaux soutiens du Pacte Vert et le restera”. Pourtant, c’est bien la France, par les voix successives de Michel Barnier, puis d’Eric Lombard lui-même, qui a été parmi les premières à porter l’idée d’une suspension des réglementations du Green Deal. Sous pression, le ministre semble toutefois avoir changé son fusil d’épaule, puisqu’il défend à présent une simplification plus modérée des normes de durabilité. “Nous devons faire du Pacte Vert un atout de compétitivité et de souveraineté et défendre ce modèle européen”, déclarait à l’Assemblée nationale le 25 mars celui qui défend au Conseil européen “le maintien du principe de la responsabilité civile”, élément clé de la directive européenne sur le devoir de vigilance.
De plus en plus d’acteurs, en France et en Europe, veulent ainsi saisir l’opportunité de l’omnibus pour pousser une simplification “intelligente”, qui ne sacrifie pas les acquis du Pacte Vert. Outre le gouvernement Espagnol, qui avait défendu il y a un mois les normes de durabilité, de nombreux acteurs institutionnels ont pointé du doigt ces dernières semaines les risques d’une dérégulation trop rapide et trop significative. L’Autorité française des normes comptables, ainsi que son équivalent néerlandais ont ainsi alerté sur le risque que la dérégulation complexifie l’accès aux données pour les investisseurs. Même son de cloche du côté de l’Association Française de la gestion d’actifs.
Dans le camp des acteurs privés, la coalition européenne WeAreEurope, ainsi que le Mouvement Impact France, continuent de plaider pour une simplification plus modérée, qui préserve les objectifs du Green Deal. Sauront-ils être entendus dans le débat idéologique qui agite en ce moment l’Europe ? Les discussions qui s’ouvrent demain à Strasbourg permettront sans doute d’y voir un peu plus clair.