Publié le 6 décembre 2024

Face à la fermeture annoncée d’au moins une des dix usines allemandes du groupe Volkswagen, un bras de fer s’est engagé entre son dirigeant, Olivier Blume, et la figure emblématique du tout puissant syndicat IG Metall, Daniela Cavallo. En jeu : le modèle de co-gestion à l’allemande face aux plans sociaux massifs et à la lente désagrégation de l’industrie allemande qui va supprimer des dizaines de milliers d’emplois.

100 000 salariés allemands sur 120 000 ont cessé le travail pendant deux heures le 2 décembre dans neuf des dix usines du groupe Volkswagen. Cette grève d’avertissement n’est pas encore une paralysie de la production automobile mais, dans un pays où règne la culture de la co-gestion entre direction et syndicats, c’est un signal majeur de changement de climat.

Daniela Cavallo, qui dirige le tout puissant comité d’entreprise “Betriebsrat” depuis 2022, a lancé les hostilités. Elle a dénoncé l’enrichissement des deux principales familles d’actionnaires alors que, pour la première fois, Volkswagen remet en cause son accord de protection des emplois en vigueur depuis trente ans. Face aux grévistes réunis devant les bureaux des dirigeants du groupe à Wolfsburg, berceau de la marque, elle a déclaré : “Imaginez que vous êtes un joueur de loto qui gagne chaque semaine un million d’euros pendant soixante-dix ans : c’est le montant que les principaux actionnaires de VW, les familles Piëch et Porsche, ont gagné grâce aux dividendes de leurs actions en dix ans seulement. Un ouvrier de l’industrie allemande doit travailler 100 000 ans pour atteindre cette somme !”

La co-gestion à l’allemande

Les salariés s’opposant aux actionnaires est un discours nouveau pour le syndicat IG Metall, dont Daniela Cavallo incarne la combativité chez Volkswagen, fleuron industriel allemand. Tout puissant jusque-là, IG Metall revendique 2,2 millions d’adhérents mais près d’un quart d’entre eux sont des retraités. Son poids et le modèle de co-gestion associant les salariés aux décisions stratégiques des entreprises, lui permet de négocier des conventions collectives très favorables aux salariés. C’est le cas chez Volkswagen où les employés bénéficient de meilleures rémunérations qu’ailleurs et de toute une série d’avantages. La direction du groupe veut désormais les remettre en cause face à la crise majeure que traverse le constructeur, en perte de vitesse face à la montée en puissance de l’électrique. Ses ventes se sont effondrées, en particulier sur le marché chinois, où Volkswagen n’est plus la marque la plus vendue depuis 2024. BYD, le constructeur chinois, l’a dépassée.

Face à cette crise, les dirigeants du groupe allemand demandent aux salariés allemands d’accepter une baisse de 10% de leurs salaires et envisage même une ou plusieurs fermetures d’usines, ce qui entrainerait des licenciements économiques. IG Metall s’oppose fermement à ce programme. Le syndicat ne veut ni baisse de salaires, ni licenciements. Prochain rendez-vous de négociation : lundi 9 décembre. Il pourrait déboucher sur une grève sans précédent en cas d’échec. Le syndicat doit prouver sa capacité à protéger les salariés allemands alors que la co-gestion montre des signes de faiblesse face à une crise de plus en plus systémique.

Volkswagen est l’emblème de la réussite de l’industrie allemande dans la période d’explosion de la mondialisation où elle a conquis de nombreux marchés en axant massivement ses ventes sur l’exportation. En 2023, le groupe a vendu 4,3 millions de voitures dans le monde, faisant de lui le second constructeur mondial après Toyota. Cette stratégie devient très compliquée à maintenir dans un monde où la géopolitique se complexifie chaque jour et où les Etats-Unis comme la Chine veulent remonter les barrières douanières.

Défaite annoncée

Cette crise globale a des impacts particulièrement délétères sur toute l’industrie allemande dont le succès des 70 dernières années repose sur la vente, en Europe comme en Asie et dans le reste du monde, de la “qualité allemande” (Deutsche Qualität). Le plan social spectaculaire de Thyssenkrupp, le conglomérat de la sidérurgie allemande, qui a annoncé vouloir se séparer de 11 000 salariés fin novembre, soit un employé sur deux, est l’autre électrochoc de cette fin d’année. L’économie allemande menace d’être à nouveau en récession alors que les principaux secteurs industriels sont en difficulté, de l’automobile à la chimie en passant par l’industrie et l’acier.

Cela ne va pas mieux côté gouvernement dont la coalition SPD, Verts et Libéraux a explosé mi-novembre contraignant le chancelier Olaf Scholz à poser la question de confiance sur son gouvernement au Parlement mi-décembre. Sa défaite annoncée devrait lancer des élections anticipées en février 2025. La campagne mettra-t-elle au premier plan l’incapacité des dirigeants allemands à repenser un modèle dont les coutures ont commencé à craquer avec la crise du Dieselgate il y a dix ans, l’échec retentissant de la fusion Bayer Monsanto, sans oublier celui de la transition énergétique, l’Energiewende, largement basée sur le gaz russe.

Ce pourrait être l’occasion de soumettre aux Allemands un vaste plan d’adaptation et de transition écologique et énergétique leur permettant d’investir dans les secteurs d’avenir en lien avec le Pacte Vert. Mais les succès électoraux récents de l’extrême-droite sont peu favorables à un scénario de ce type.

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