Publié le 10 juillet 2025

Le ministre de l’économie semble être intervenu pour exempter les banques d’appliquer la nouvelle loi interdisant la fraude à l’impôt sur les dividendes. L’Assemblée et le Sénat contre attaquent et mettent Bercy sous pression.

Plusieurs milliards d’euros par an. C’est le montant estimé des fraudes à l’impôt sur dividendes dites CumCum, organisées par les banques françaises pour les investisseurs étrangers. Ce scandale fiscal est arrivé sous le feu des projecteurs en 2018, quand une enquête internationale a révélé que les organismes bancaires français organisaient pour leurs clients étrangers des montages financiers temporaires leur permettant de ne pas payer l’impôt sur les dividendes d’actions d’entreprises françaises. A l’initiative du Sénat, une loi visant à empêcher cette fraude en obligeant les banques à prélever cet impôt à la source avait été votée en février dernier et devait permettre à l’Etat de récupérer jusqu’à 3 milliards d’euros par an de recettes fiscales.

Mais depuis quelques mois, les services du ministre de l’économie, Eric Lombard, sont intervenus pour modifier les contours de ce texte par des dispositifs d’exemption permettant aux banques de ne pas appliquer la loi dans certains cas sur les marchés boursiers réglementés. Une intervention qui “vide de sa substance” le dispositif voté par le Parlement, selon le rapporteur général du budget au Sénat, le sénateur Jean-François Husson. Furieux d’une décision qui affaiblit leur pouvoir législatif et la justice fiscale, les parlementaires ont décidé de réagir et mettent désormais la pression sur le ministre pour qu’il revienne en arrière.

CumCum : Eric Lombard auditionné par l’Assemblée

En juin, le rapporteur du budget au Sénat a ainsi lancé un contrôle au sein des services de Bercy pour comprendre la décision du ministère d’affaiblir le dispositif législatif anti CumCum. Un contrôle qui révèlera notamment les pressions intenses exercées par la Fédération bancaire française sur le ministère pour introduire des exemptions à la loi. Quelques jours plus tard, ce même rapporteur et le président de la Commission des finances du Sénat écrivaient au Ministère pour l’enjoindre à “garantir l’effectivité” de la loi. “Nous savons aujourd’hui que le ministre a passé outre la mise en garde de ses services, et publié contre l’avis de son administration un texte d’application de la loi revenant sur les arbitrages du Parlement” explique ainsi au journal Le Monde Jean-François Husson.

Face à la polémique qui enfle, c’est l’Assemblée nationale qui a décidé d’interroger le ministre, convoqué devant la Commission des finances mardi 8 juillet, Eric Coquerel, président de la Commission, a ainsi cherché à comprendre comment le ministre pouvait “justifier, juridiquement et politiquement, de ne pas appliquer quelque chose qui a été voulu par le législateur”, et qui contribuerait par ailleurs à creuser le déficit public du pays.

Le difficile débat sur la taxation des plus aisés

Le ministre a assuré de son côté être “engagé à lutter contre toutes les formes de fraudes fiscales” et n’avoir pris sa décision que pour éviter que cela “nuise au fonctionnement de la place de Paris et se traduise par des transferts massifs des opérations sur d’autres places, notamment de l’autre côté de la Manche”. Des arguments reprenant les éléments de langage de la Fédération bancaire française, mais qui ne reflètent pas l’avis rendu par le Conseil d’Etat sur le sujet en janvier dernier. Ce dernier précisait en effet que les établissements bancaires devraient être “tenus d’appliquer la retenue à la source chaque fois que les conditions prévues” dans la loi étaient réunies.

L’affaire, qui devrait continuer à opposer Bercy et les parlementaires dans les prochaines semaines, illustre en tout cas bien le difficile débat sur l’effectivité de la taxation des plus aisés. Selon un rapport publié par France Stratégies, l’immense majorité des dividendes en France sont en effet perçus par les ménages les plus aisés, et leur taxation serait une mesure de justice fiscale permettant d’augmenter la contribution des plus riches à l’effort budgétaire. Mais comme d’autres mesures du même type, notamment la taxe Zucman, qui prévoyait de taxer le patrimoine des plus aisés pour éviter la suroptimisation fiscale, la taxation des dividendes semble constituer un point de blocage pour une partie du gouvernement. Eric Lombard, qui se décrit lui-même comme un homme “qui n’aime pas l’impôt”, a ainsi plusieurs fois déclaré son refus d’envisager des hausses d’impôts. Mais dans le cas de la fraude CumCum, il semble avoir toutes les forces politiques contre lui, que ce soit à l’Assemblée ou au Sénat.

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