Publié le 18 octobre 2024

Plus de 20 ans après sa création, le mouvement des AMAP, Association pour le maintien de l’agriculture paysanne, essaime partout en France, montrant qu’un autre modèle agro-alimentaire est possible. Ce modèle, qui nourrit à la fois les agriculteurs et les consommateurs, peut-il être démocratisé ? Toute la semaine, Novethic vous propose un focus sur les pionniers qui ont bâti des modèles alternatifs et durables.

23 ans après, Daniel et Denise Vuillon ne semblent pas se lasser de raconter leur histoire. Une histoire qui a fait de ces deux agriculteurs d’Ollioules, une bourgade située à l’ouest de Toulon, des véritables précurseurs ayant ouvert une voie vers une alimentation durable en France. Dans les années 2000, le couple Vuillon survit difficilement. “Il faut se remettre dans le contexte : le nombre de maraîchers ne cessait de s’effondrer, la grande distribution privilégiait les produits d’Espagne moins chers et mettait la pression sur les prix. On ne s’en sortait pas”, se souvient Daniel. Et puis un voyage aux Etats-Unis va tout changer. Daniel et Denise, en visite à New York, découvrent la Community Supported Agriculture (CSA), un système de vente en circuit-court reposant sur un contrat direct entre paysans et consommateurs. Un concept lui-même inspiré des teikei japonais, fondés par des mères désirant sortir de l’agriculture massive ayant recours aux pesticides.

A leur retour en France, l’idée fait son chemin. Et si c’était possible de répliquer ces concepts ? Pendant un an, Daniel et Denise Vuillon potassent ce qui va devenir la première AMAP (Association pour le maintien de l’agriculture paysanne) de France. Une idée révolutionnaire qui s’appuie sur un mot : la confiance. Le consommateur s’engage pendant plusieurs mois à payer un abonnement à l’agriculteur qui lui fournira un panier par semaine. Le consommateur ne choisit pas les denrées qui composeront son panier, le paysan l’alimente en fonction de la récolte. “C’était et c’est toujours un vrai système alternatif”, évoque Denise. “Le prix est construit de manière transparente en fonction des charges de la ferme (rémunération du travail comprise) divisées par le nombre de familles que la ferme est en capacité de nourrir. C’est simple mais c’est un système de résistance qui permet de pérenniser les petites fermes”, explique-t-elle.

La vache folle, un déclic

En avril 2001, le premier panier est lancé, en pleine crise de la vache folle et en plein scandale sur la présence de dioxine dans le poulet et les œufs. Au moment où la France ouvre les yeux sur un système agroalimentaire à la dérive, Daniel et Denise Vuillon proposent une alternative. Le timing est parfait. 23 ans plus tard, 15 000 producteurs ont rejoint le réseau des AMAP. Le concept a essaimé partout en France. “On redécouvre des fruits et légumes qu’on avait oubliés, on apprend à les cuisiner, on se reconnecte aux saisons… c’est un autre rapport à l’alimentation qui se développe”, rapporte Tristan Thil, auteur de “Circuit court : une histoire de la première AMAP”, une bande dessinée illustrée par Claire Malary et sortie il y a un an.

D’après le dernier baromètre annuel de PourdeBon réalisé par Kantar, 67% des Français achètent des produits en circuits courts. “La vente directe est le seul débouché qui voit ses ventes augmenter en 2022”, rapporte par ailleurs le réseau des AMAP Ile-de-France. Une raison à cela ? “Les prix en AMAP, fixés le plus souvent par les paysans en fonction de leurs charges, cotisations et revenus, échappent aux logiques spéculatives et aux systèmes de mercuriales (qui recensent le cours des produits sur un marché, ndr)”, fait remarquer la structure.

Un mouvement marginal mais innovant

Reste que malgré ce fort développement et cette attractivité, les AMAP restent un mouvement encore marginal sur le marché agroalimentaire. Un des enjeux est l’accessibilité. “Les résultats du sondage mettent en avant dans les principaux freins à l’achat la difficulté d’identifier où acheter des produits en circuit court et le manque de point de collecte à proximité”, note PourdeBon. Mais c’est aussi le rapport de force qui est pointé du doigt avec les grands distributeurs dont la puissance marketing et commerciale est incomparable avec les AMAP, mouvement citoyen et paysan. Le manque de soutien des pouvoirs publics est également mentionné, notamment les aides de la Politique agricole commune (PAC) européenne qui favorisent les grosses exploitations au détriment des petites. “Le modèle des AMAP est extrêmement innovant mais le portage s’appuie sur une mobilisation citoyenne et paysanne. Il n’y aura pas de changement d’échelle massif sans politique publique forte”, explique Ariane Richardot, des AMAP Ile-de-France.

Un manque de soutien qui n’empêche pas les AMAP d’expérimenter de nouveaux concepts pour imaginer l’alimentation durable du futur. Le mouvement expérimente ainsi la Sécurité sociale de l’alimentation (SSA), un projet qui permettrait de favoriser la démocratie alimentaire puisque chaque citoyen recevrait une somme à dépenser chez des agriculteurs ou commerces sélectionnés. Une idée pas si utopique. “En France, après la seconde guerre mondiale, la santé est devenue un droit avec un accès universel, c’est assez extraordinaire”, constatait sur Novethic il y a quelques années Emmanuel Marie, membre du comité national de la Confédération paysanne qui espère étendre ce principe à l’alimentation. “Il faut retrouver notre droit à l’alimentation”. D’où la démarche des AMAP aujourd’hui de tester ce modèle. “Ce projet de SSA en construction est une proposition ambitieuse qui ouvre notre imaginaire et notre champ de réflexion”, écrit le mouvement des AMAP. Un nouveau territoire à explorer.

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