Un jean 100% français, de la culture du coton aux finitions, cela vous semble impossible ? La marque de vêtements éco-responsables 1083 l’a pourtant fait. Portée par un engagement fort pour le made in France, l’entreprise drômoise propose depuis son lancement des pantalons en coton bio, issu à 90% de Tanzanie, confectionnés quasi exclusivement dans l’Hexagone. Mais 1083 va désormais plus loin. Il y a quelques mois, la marque a livré ses premiers jeans fabriqués en circuit court.
Coupé dans une toile conçue à partir de fil recyclé et de coton récolté dans les départements de la Drôme et du Gers, ce nouveau modèle, uniquement produit sur commande, permet à l’entreprise de boucler la boucle. Un véritable exploit alors que l’industrie du denim a complètement disparu de nos régions depuis plusieurs décennies. “Il y a quelques années, je me disais c’est terminé, on ne fera plus de jeans en France. C’est le type de produits qui semblaient alors très difficile à relocaliser, nous confie Gilles Attaf, Président d’Origine France Garantie. Pourtant, Thomas Huriez m’a montré que c’était possible.”
Informaticien de formation, le jeune entrepreneur n’était pourtant pas prédestiné à bouleverser le secteur textile français. En quête de sens, il se lance en 2007 dans l’aventure de la mode éthique en ouvrant une boutique de vêtements à Romans-sur-Isère, une petite ville de la Drôme historiquement connue comme la capitale de la chaussure. Mais les fournisseurs commencent à se faire rares et en 2013, Thomas Huriez décide de prendre le taureau par les cornes : il crée sa propre marque avec l’ambition de “reconstruire la filière du jean en France” afin de fabriquer des produits “vertueux pour la planète et dans lesquels on se sent bien”, nous explique-t-il.
“Le premier enjeu, c’était d’y croire”
Si l’objectif du petit fabricant trouve un écho auprès d’une partie des consommateurs, le chantier est colossal. “Le premier enjeu, c’était d’y croire. J’ai assez vite été confronté à la circonspection des gens qui pensaient que c’était impossible, reconnait Thomas Huriez. Puis il a fallu relocaliser.” Filage, tissage ou encore ennoblissement : l’entreprise travaille alors à trouver des partenaires et ouvre ses propres ateliers afin d’effectuer autant que possible sur le territoire français les huit étapes nécessaires à la confection d’un jean.
Malgré des volumes réduits, les valeurs portées par 1083 séduisent les acteurs du textile tricolores qui lui donnent sa chance. C’est le cas notamment de Bleu Océane. Depuis trois ans, ce spécialiste du denim qui collabore habituellement avec des maisons de luxe, réalise le délavage d’une partie des jeans de la marque. “On ne rejette rien dans l’environnement grâce à un processus de délavage à l’ozone, propre et économe en eau. Cela va dans le sens de l’histoire de 1083”, souligne auprès de Novethic Rodolphe Bled, président du groupe.

L’entreprise ne s’arrête pas là et va jusqu’à participer à la reprise de l’une des dernières usines de filature et de tissage du pays en 2018. “Valrupt fournissait 80% de nos matières premières. Quand il a rencontré des difficultés, nous prenions plus de risques à le perdre qu’à l’aider, affirme Thomas Huriez. Cela nous a montré à quel point l’industrie est fragile.” Depuis 2013, 1083 a ainsi participé à la création de 250 emplois directs et indirects et collabore aujourd’hui avec une trentaine d’ateliers dans toute la France avec l’objectif d’implanter une filière “diversifiée et déconcentrée”, plus robuste.
50 000 jeans chaque année
Côté consommateurs, si le succès est également au rendez-vous avec un chiffre d’affaires de 12 millions d’euros en 2022, le chemin est encore long. Le secteur de l’habillement traverse en effet une crise majeure. Tandis que le segment du milieu de gamme subit des fermetures en cascade, les géants de l’e-commerce Shein et Temu voient leur popularité exploser. Dans ce contexte, le made in France peine à trouver sa place. Il ne représente que 3% des quantités achetées malgré une attention croissante des consommateurs portée aux conditions de production de leurs vêtements.
Le facteur prix reste en effet un aspect capital pour les acheteurs, frappés de plein fouet par l’inflation. 80% des Français placent ainsi le prix en haut des critères les plus importants, devant la qualité, la durée de vie ou le pays de fabrication des vêtements, selon une enquête du réseau des Chambres de Commerce et de l’Industrie (CCI) publiée en 2023. Pourtant, Thomas Huriez l’assure, ce n’est pas le made in France qui coûte cher aux consommateurs mais bien la surconsommation. Son but : promouvoir le “moins mais mieux”. “On n’a pas besoin d’acheter un jean par an. Pour réduire cette consommation, il faut réussir à développer une offre durable désirable”, appuie l’entrepreneur.
Aujourd’hui, le fabricant écoresponsable confectionne environ 50 000 jeans chaque année. Une goutte d’eau face aux 67 millions de pièces vendues annuellement dans le pays. Pour changer d’échelle, 1083 pourrait prochainement s’appuyer sur la commande publique. Accompagnée du Slip Français, la marque a par exemple proposé de confectionner les futurs uniformes de l’Education Nationale. Mais il faudra surtout faire preuve de patience, rappelle Gilles Attaf : “La réparabilité, le recyclage, le “moins mais mieux”… Ça commence à infuser. Il y a 20 ans, produire en France c’était ringard. Il faudra du temps pour remettre la machine en route”.