Publié le 15 janvier 2025

Le constructeur chinois de véhicules électriques BYD vient d’être épinglé pour les conditions “d’esclavage” de son usine au Brésil. Loin d’être un cas isolé, ce scandale illustre les conditions de travail infernales imposées aux travailleurs des chaînes de production par les constructeurs automobiles chinois. De la production des matières premières aux chaînes d’assemblage, les violations des droits des travailleurs se multiplient.

Des conditions de travail dignes de l’esclavage. C’est ce qui a été découvert par la justice brésilienne dans une usine appartenant au constructeur automobile chinois BYD, premier producteur mondial de véhicules électriques. Dans cette usine de la région de Salvador de Bahia, lancée en 2023 comme un symbole du développement de BYD en Amérique latine, 163 ouvriers chinois étaient exploités par un sous-traitant dans des “conditions dégradantes”, selon les autorités brésiliennes. En réalité, le mot est faible : passeports confisqués, salaires payés à seulement 40% (en yuans), dortoirs collectifs sans matelas, une salle de bain à partager à plusieurs dizaines de salariés, maladies…

Un scandale qui illustre le revers du succès des constructeurs chinois sur le marché mondial du véhicule électrique, et les conséquences terribles des politiques de réduction des coûts sur les travailleurs. Ce n’est pas la première fois que BYD, comme d’autres constructeurs chinois spécialisés dans les véhicules électriques, sont épinglés pour violation des droits humains et des droits des travailleurs sur leur chaîne de valeur. Pris depuis quelques mois dans une véritable guerre des prix, les constructeurs font tout pour réduire leurs coûts. De l’approvisionnement des matières premières, jusqu’aux lignes d’assemblage, ce sont aujourd’hui l’ensemble des chaînes de production des véhicules électriques chinois qui sont prises dans l’engrenage d’un véritable dumping social, au point que les rapports d’alerte des ONG et des médias se multiplient.

Esclavage moderne, baisses de salaire, pressions

En 2021 déjà, une enquête de The Guardian avait mis en évidence les conditions de travail proches de l’esclavage moderne des ouvriers dans des mines détenues par des entreprises chinoises en République Démocratique du Congo, premier producteur mondial de cobalt, un métal clé de la production de batteries pour les voitures électriques. “Salaires d’à peine 30 centimes de l’heure, emplois précaires et sans contrat, rations alimentaires dérisoires” mais aussi “discrimination et racisme rappelant l’époque coloniale”, décrit le quotidien britannique.

Il y a tout juste un an, c’est Human Rights Watch qui avait à nouveau tiré la sonnette d’alarme, en montrant que les constructeurs chinois étaient massivement impliqués dans l’esclavage des populations ouïghoures, en particulier pour la production d’aluminium, composant là aussi essentiel de la production automobile. Plusieurs usines de BYD ou de SAIC, un autre constructeur majeur du pays, ainsi que des joint-ventures avec des constructeurs européens, se seraient ainsi fournies en aluminium dans des usines exploitant illégalement des travailleurs ouïghours, dans la région du Xinjiang dans l’ouest de la Chine, qui fournit près de 10% de la production mondiale.

Sur les lignes d’assemblage des constructeurs en Chine, les constats sont les mêmes. En 2023, selon l’ONG indépendante China Labor Bulletin, une vingtaine de mouvements de grève ont été déclarés chez les constructeurs automobiles dans le pays, pourtant fort peu habitué à la contestation sociale. Selon le rapport de l’association, des baisses importantes de salaires ont été annoncées aux ouvriers des usines BYD de Changsha dans le Hunan, tout comme dans les usines SAIC, où les travailleurs se plaignent de conditions insoutenables, travaillant par plus de 35 degrés, sans climatisation. Au sein de Geely, l’un des constructeurs historiques les plus importants en Chine, ce sont encore des licenciements qui ont été annoncés de façon brutale en décembre, tandis que le constructeur Li Auto, basé à Pékin, a forcé il y a quelques semaines plus de 1 000 travailleurs à démissionner ou à accepter d’être placés au salaire minimum.

Réduire les coûts à tout prix

Il faut dire que depuis plusieurs années, les constructeurs automobiles mondiaux, chinois en tête, sont face à une crise de surproduction et ne parviennent plus à vendre leurs stocks. C’est donc une véritable guerre des prix qui fait rage, pour gagner les quelques parts d’un marché qui peine à se développer, sur fond de crise économique globale. En novembre dernier, le New York Times a ainsi révélé l’existence de courriels internes envoyés par les constructeurs automobiles chinois à leurs équipes, avec un message clé : réduire les coûts. “Afin d’améliorer la compétitivité des voitures particulières BYD, nous avons besoin que l’ensemble de la chaîne d’approvisionnement travaille ensemble et continue de réduire les coûts“, écrit ainsi He Zhiqi, vice-présidente exécutif de BYD, qui a réclamé à l’ensemble de ses sous-traitants une réduction d’au moins de 10% de leurs prix d’ici 2025, un objectif également partagé en interne par les dirigeants de SAIC.

C’est aussi dans cette optique de bataille des coûts que les constructeurs chinois tentent aujourd’hui de s’implanter en Amérique latine, mais aussi en Europe, au plus près des marchés qu’ils tentent de conquérir. Une manière, aussi, de contourner en partie les tarifs douaniers qui s’envolent, en Europe et aux Etats-Unis pour les constructeurs produisant en Chine. Après son usine au Brésil, BYD a ainsi prévu de s’implanter au Mexique, en Hongrie, et peut-être en Turquie, tandis que Geely discute avec la Pologne, et que SAIC vise l’Europe centrale, via la Hongrie ou la République Tchèque. Une stratégie d’implantation rapide, dans des pays aux normes sociales peu favorables, qui laisse penser que le dumping social dans la production des véhicules électriques mondiaux pourrait s’étendre. Poussés par un gouvernement aux ambitions économiques expansionnistes, les constructeurs chinois s’empressent de s’armer pour entrer dans une “bataille décisive”, pour reprendre les mots du patron de BYD. Bataille dont on peut craindre que les victimes collatérales soient les travailleurs.

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