Alors que la Chine vient de détrôner le Japon pour devenir le premier pays exportateur automobile mondial en 2023, plusieurs constructeurs – comme BYD, Tesla, Toyota, General Motors et Volkswagen – sont aujourd’hui soupçonnés de faire appel au travail forcé des Ouïghours. Un nouveau rapport de Human Rights Watch (HRW), publié ce jeudi 1er février, révèle que “ces marques n’arrivent pas à minimiser le risque de recourir au travail forcé des Ouïghours dans leurs chaînes d’approvisionnement en aluminium”.
“Nous pouvons même aller plus loin en disant que toute l’industrie automobile est à risque”, affirme auprès de Novethic Jim Wormington, l’un des auteurs de l’étude intitulée “Endormi au volant : complicité des constructeurs automobiles dans le travail forcé en Chine“. Pourquoi ? En raison de l’un des composants essentiels de nos véhicules : l’aluminium. Ce métal est utilisé dans des dizaines de pièces automobiles, depuis le bloc moteur au châssis, des roues jusqu’à la batterie électrique.
Au moins 10% de l’aluminium mondial est aujourd’hui produit en Chine, et plus spécifiquement dans les raffineries de la région du Xinjiang, située dans le nord-ouest du pays. La production d’aluminium y est passée d’un million de tonnes en 2010 à plus de six millions en 2022.
Un problème de traçabilité
Cette région aux confins de la Mongolie et du Kazakhstan est pourtant internationalement connue pour être le théâtre de l’intense répression du gouvernement chinois envers la communauté Ouïghoure. Plus d’un million de personnes, issues de cette minorité musulmane, y seraient arbitrairement détenues et soumises au travail forcé, via un programme de transfert de main-d’œuvre. Ces transferts impliquent, selon Human Rights Watch, le déplacement de Ouïghours de la campagne vers les villes afin d’y travailler, sous peine de représailles pour eux ou leur famille ou pire d’être placés en détention.
“À moins que vous sachiez d’où vient l’aluminium de votre véhicule, il est possible que vous conduisiez un véhicule qui a des liens avec ces programmes de transfert de main-d’œuvre”, nous explique Jim Wormington. Car c’est en analysant des centaines de documents du gouvernement chinois et des entreprises disponibles en ligne que l’ONG a identifié des liens entre des raffineries d’aluminium présentes dans la région du Xinjiang et des transferts d’ouvriers.
“Lorsque l’on a interrogé les constructeurs automobiles cités dans ce rapport, peu étaient capables d’identifier la provenance exacte de leur aluminium via leurs chaînes d’approvisionnement”, détaille ce chercheur. Car l’une des tactiques déployées pour dissimuler la provenance de cet aluminium produit dans le Xinjiang est qu’il est ensuite exporté vers d’autres régions chinoises, où il est à nouveau fondu ou mélangé à d’autres métaux, ce qui lui permet d’entrer dans les chaînes d’approvisionnement mondiales sans être détecté.
Un appel à la responsabilité des entreprises et des États
Les constructeurs automobiles ont pourtant “la responsabilité, en vertu des Principes directeurs des Nations Unies relatifs aux entreprises et aux droits de l’homme, d’identifier, de prévenir et d’atténuer la présence du travail forcé dans leurs chaînes d’approvisionnement”, réaffirme l’ONG. Or certains d’entre eux affirment que, parce qu’ils n’exploitent ni ne contrôlent leurs coentreprises chinoises, ils ne sont pas en mesure d’identifier les liens possibles de leur chaîne d’approvisionnement avec le Xinjiang.
C’est notamment le cas pour Volkswagen. Interrogée par Human Rights Watch, la marque allemande a reconnu l’existence “d’angles morts” quant à l’origine de l’aluminium de ses voitures. “Lorsqu’une entreprise constate des liens entre ses fournisseurs et ces entreprises du Xinjiang, elle doit se désengager“, explique Jim Wormington. “Quand vous achetez une voiture, vous devez être sûr qu’elle ne présente aucun risque d’exposition au travail forcé”, insiste-t-il.
Pour y remédier, les États-Unis ont voté en 2021 une loi interdisant l’entrée de produits issus du Xinjiang, ce qui a entrainé l’inspection de près de deux milliards de dollars de produits. HRW appelle à durcir cette législation, en demandant aux entreprises de partager l’origine des matériaux avant qu’ils n’arrivent sur le sol américain. L’ONG pointe aussi la responsabilité de l’Union européenne qui doit adopter la directive sur le devoir de vigilance des entreprises et le règlement sur l’interdiction des produits du travail forcé. Pour Jim Wormington,“ce type de loi peut envoyer un message très important selon lequel ces gouvernements ne toléreront pas les produits d’entreprises impliquées dans des violations des droits de l’Homme”.