Publié le 23 avril 2014

Cartouche supply chain

SOCIAL

Le drame du Rana Plaza a réveillé la conscience syndicale au Bangladesh

Au Bangladesh, l’industrie textile fait vivre 4 millions de personnes. Les trois-quarts d’entre elles sont des femmes. Cette main d’œuvre, qui reste la moins chère de la région, est jusqu’à présent restée docile. Mais le drame du Rana Plaza a insufflé un vent de revendication, notamment porté par l’ouverture du gouvernement envers les syndicats du textile.

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Manifestation syndicale dans les rues de Dacca, au Bangladesh, deux ans jour pour jour après le drame du
Munir Uz Zaman / AFP

"Les marques occidentales doivent prendre leurs responsabilités en indemnisant les ouvriers qui travaillaient pour elles au Rana Plaza, en assurant leur prise en charge médicale et l’éducation de leurs enfants. Car ce sont elles qui ont le plus profité du très faible coût de la main d’œuvre". Le message que vient porter en Europe le NGWF (Bangladesh National Garments Workers Federation) est clair. A l’occasion de la commémoration du premier anniversaire de l’effondrement de l’usine textile qui a causé la mort de plus de 1100 ouvriers et blessé des milliers d’autres, ce syndicat bangladais a en effet entamé une tournée européenne. Son but ? Sensibiliser marques, consommateurs et politiques à la réalité des victimes du drame et, plus largement des conditions de travail du secteur textile, l’Europe étant le principal importateur des vêtements fabriqués au Bangladesh (1).

 

150 syndicats d’usine créés en un an

 

Sur place, c’est toute l’industrie du textile que le syndicat entend révolutionner. Celui-ci se bat depuis plus de 25 ans mais l’accident du Rana Plaza lui a donné une nouvelle visibilité. Et renforcé sa légitimité. Longtemps muselés par le régime, les syndicats ont en effet bénéficié de l’adoption, en juillet 2013, de nouvelles règles de représentation du personnel. Les salariés du secteur ont désormais le droit d’être représentés. La représentation syndicale était autorisée mais à la condition que l’employeur donne préalablement son autorisation. Ce sont aujourd’hui près de 40 000 ouvriers qui ont été formés à l’activité syndicale. "Cela a provoqué une vague de syndicalisation : dans le secteur se sont près de 150 syndicats d’usine qui ont été enregistrés depuis la levée des restrictions (2). Quelque chose est en train de se produire. Les ouvrières n’ont plus peur de demander de meilleures conditions de travail et de revendiquer leurs droits", souligne Shahidul Islam Shahid, l’un des représentants de NGWF. Depuis un an, les manifestations se sont multipliées dans les rues bangladaises. Avec, à la clé, quelques avancées pour les ouvriers du secteur textile. "Nous avons obtenu la signature de l’accord sur la sécurité incendie et des bâtiments, ce qui a abouti à la fermeture de plusieurs usines, la mise en place d’un fonds d’indemnisation et l’augmentation des salaires minimum (à 68 dollars mensuels, ndlr). Mais beaucoup reste à faire pour réellement changer les choses".

 

Un salaire décent

 

Symbole de ce combat toujours en cours, la lutte pour l’augmentation des salaires. Les revendications sont encore loin d’être satisfaites. De nombreuses manifestations ouvrières ont eu lieu pour obtenir 100 dollars (73 €) mensuels. Et le NGWF va encore plus loin : « nous militons pour un salaire décent (3), la création de logements destinés spécifiquement aux ouvriers du textile, des crèches gratuites pour les enfants et des infirmeries gratuites dans toutes les usines» énumère le syndicaliste. « Nous ne devons pas relâcher la pression sur le gouvernement qui a tendance à nous écouter seulement lorsque nous descendons dans la rue. »

Les marques ont aussi leur rôle à jouer. "Aujourd’hui, nous restons encore bien moins chers que la plupart de nos voisins. Une marque paye un vêtement 1,5 € en Chine, 1 € au Vietnam mais seulement 53 centimes au Bangladesh. Une augmentation de seulement 3 centimes par produit permettrait aux fabricants d’usine de payer décemment les ouvriers (3), assure Shahidul Islam Shahid. Mais il ne faut surtout pas que les marques se retirent du Bangladesh. La menace de l’Union européenne de suspendre le SPG (le Système généralisé de préférences grâce auquel le Bangladesh a un accès sans quota ni droits de douane au marché européen, ndlr) nous fait très peur car il est essentiel au maintien de l’activité textile. Ce secteur permet à des millions de femmes d’être indépendantes. C’est très important, surtout dans un pays musulman, très religieux. Si le secteur venait à s’effondrer, ce serait dramatique car il est à craindre que le pays bascule dans le fondamentalisme en plus de sombrer un peu plus dans la pauvreté".

(1) 66% des exportations de vêtements bangladais sont destinés à l’Europe

(2) Le secteur textile compte environ 5 000 usines.

(3) Estimé à 247,71 € par l’Asia Floor wage

Béatrice Héraud
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