Publié le 03 juin 2022
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Plainte contre Dassault Aviation, Thales et MBDA accusées de crimes de guerre par des ONG
Les trois entreprises françaises ont vendu des armes à l’Arabie saoudite et aux Émirats arabes unis, la coalition qui mène une guerre au Yémen. Or des observateurs ont constaté dans ce conflit ce qui peut s'apparenter à des crimes de guerre et des crimes contre l'humanité, affirment Mwatana for Human Rights, le Centre européen pour les droits constitutionnels et les droits de l'homme (ECCHR) et Sherpa. Ainsi et au nom de ces civils, ces trois associations portent plainte contre ces entreprises d’une "éventuelle complicité dans des crimes de guerre et des crimes contre l'humanité présumés au Yémen", considérant qu’elles ne peuvent pas ignorer la situation. Thales récuse ces accusations.

Yemen war flickr felton davis
Alors que tous les regards sont braqués sur la guerre en Ukraine, au Yémen aussi les populations civiles ont été sous les feux de bombes meurtrières. Pour alerter sur la situation dramatique qui se joue dans cette région du monde, trois associations portent plainte au pénal devant le tribunal judiciaire de Paris contre les entreprises d'armement Dassault Aviation, Thalès Groupe et MBDA France.
Les ONG Mwatana, une organisation yéménite de défense des droits humains, et European Center for Constitutional and Human Rights (ECCHR), basé à Berlin, rejointes par l’association Sherpa, et avec le soutien d’Amnesty International France, accusent ces poids lourds de l’armement français d’une "éventuelle complicité dans des crimes de guerre et des crimes contre l'humanité présumés au Yémen, lesquels auraient pu être commis du fait de leurs exportations d'armes vers l'Arabie saoudite et les Émirats arabes unis". Ces deux pays ont formé une coalition à l’origine d’une campagne de raids aériens contre les forces Houthis et Saleh au Yémen depuis 2015 (jusqu’au cessez-le-feu d’avril dernier).
"La France a fourni du matériel de guerre, des munitions et des services de maintenance d’une valeur dépassant 8 milliards d’euros à l’Arabie saoudite et aux Émirats arabes unis", déplorent les ONG à l’origine de la plainte. Ils citent notamment la vente d’avions de combat de production française, et les services de maintenance de 59 Mirage acquis par les Emirats arabes unis qui leur ont permis de rester opérationnels. Les ONG précisent en outre que des missiles et des systèmes de guidage produits par Thales et MBDA France auraient été utilisés dans le cadre du conflit au Yémen.
"Plus grande catastrophe humanitaire" selon l’ONU
Depuis le début du conflit, Mwatana, d'autres ONG ainsi que des organisations internationales et de nombreux experts dénoncent les frappes aériennes de la Coalition. En décembre 2019, un groupe d'ONG a ainsi saisi la Cour pénale internationale pour qualifier 26 frappes aériennes de la coalition militaire de crimes de guerre. La coalition a mené "d’innombrables attaques ciblant la population civile, ainsi que des logements, des marchés, des hôpitaux et des écoles", détaillent ainsi les ONG. L'Organisation des Nations unies décrit de son côté le conflit et ses conséquences comme la "plus grande catastrophe humanitaire" de notre époque.
"Ces informations étaient publiques", soutient Anna Kiefer, chargée de contentieux chez Sherpa. "Les entreprises ont donc continué à vendre leurs armes en pleine connaissance de cause", tranche-t-elle. "Le commerce des armes n’est pas une activité neutre : les entreprises sont responsables du respect des droits humains en lien avec leurs exportations et peuvent engager leur responsabilité pénale en tant que complices si elles persistent à exporter des armes tout en sachant qu’elles peuvent être utilisées pour commettre des crimes", complète Cannelle Lavite, co-directrice du département entreprises et droits humains à ECCHR.
"Combler l’actuel vide vertigineux en matière de responsabilité au Yémen"
Toutefois, Thales réfute ces accusations. Le groupe "se conforme strictement à toutes les lois et réglementations applicables en matière de contrôle des exportations. Cette politique fait partie d'une approche globale des pratiques éthiques et de la responsabilité de l'entreprise qui répond aux normes les plus élevées du secteur", affirme un porte-parole de l’entreprise. De son côté, Dassault Aviation n’a pas souhaité faire de commentaires et MBDA n’a pas répondu à nos sollicitations.
"Les industriels de la défense se cachent derrière ces licences d’exportation. Or une licence ne dédouane en rien les industriels de leur responsabilité en ce qui concerne les répercussions de leurs activités sur les droits humains", indique Aymeric Elluin, chargé de plaidoyer armes et peine de mort à Amnesty International France. La justice tranchera. "En enquêtant sur les potentielles responsabilités d'acteurs économiques dans les crimes commis au Yémen, la justice française pourrait jouer un rôle essentiel dans la lutte contre l’impunité et l’accès à la justice pour les personnes affectées par des crimes internationaux", estime Anna Kiefer.
Mathilde Golla @Mathgolla