Publié le 05 octobre 2023
GOUVERNANCE D'ENTREPRISE
La bataille judiciaire reprend pour TotalÉnergies, attaqué au pénal pour ses projets fossiles climaticides
Quatre associations de défense de l’environnement ont porté plainte devant le tribunal judiciaire de Nanterre contre TotalÉnergies pour "des faits s’apparentant à un climaticide" en raison de ses investissements dans les énergies fossiles. Une première.

STEPHANE DE SAKUTIN / AFP
Pas de répit pour TotalÉnergies. Une plainte a été déposée le 22 septembre dernier devant le tribunal judiciaire de Nanterre contre le groupe pétrolier française et son méga projet en Ouganda par quatre associations de défense de l’environnement, selon Le Monde à l’origine de cette information.
Une situation pas tout à fait inédite pour Total, car le groupe fait très régulièrement l’objet ces dernières années de recours à son encontre devant la justice française, notamment pour des manquements à son devoir de vigilance ou greenwashing. Mais c’est par la voie pénale, et non civile, que les quatre ONG Darwin Climax Coalitions, Sea Shepherd France, Wild Legal et Stop EACOP-Stop Total en Ouganda ont décidé cette fois-ci de mener ce nouveau combat judiciaire contre la compagnie pétrolière pour des faits s'apparentant à un climaticide.
Le pénal, nouvel outil de dissuasion ?
Ce changement de stratégie est assumé par l’avocat des associations, Maître William Bourdon. "Il ne faut pas négliger les procédures civiles, elles demeurent importantes, mais j’ai la conviction qu’elles n’ont pas beaucoup d’impact sur le comportement des multinationales", estime-t-il auprès de Novethic. "Or le risque d’une procédure pénale, d’être entendu par les enquêteurs ou par un juge d’instruction, et de faire l’objet d’un procès, est beaucoup plus lourd et embarrassant pour un grand groupe comme Total". Ce que nous confirme Marine Calmet, présidente de l'association Wild Legal. "Le pénal doit être désormais l’outil de dissuasion contre ces entreprises criminelles qui contreviennent à l’intérêt général et qui sont une menace, voire un danger, pour la paix sociale".
Les associations entendent s'appuyer sur une jurisprudence de la Cour de cassation autour de l'"omission de prendre des mesures pour combattre un sinistre". En janvier 2023, cet arrêt affirme que la pandémie de Covid-19 peut être considérée comme un "sinistre". "Alors que le Covid était peu prévisible, la contribution climaticide de Total au réchauffement climatique est non seulement prévue, mais aussi connue par le groupe depuis des décennies, une connaissance qu'il a longtemps dissimulée", insiste l’avocat des associations. Or, Total poursuit, en totale connaissance de cause, "ses projets fossiles mortifères dont il ne peut ignorer qu’ils contribuent à la fabrication de morts, des atteintes de masse à l'intégrité des personnes et aux biens, ainsi qu'à la santé planétaire".
Et cette nouvelle plainte contre TotalÉnergies ne compte pas moins de quatre infractions graves : "abstention de combattre un sinistre", "homicide involontaire", "atteintes involontaires à l’intégralité de la personne" et "destructions ou dégradation d’un bien appartenant à autrui de nature à créer un danger pour les personnes". Contacté par Novethic, le groupe assure pour l'heure n’avoir "pas connaissance de cette plainte et ne savoir pas ce qu’elle vise". "La compagnie mène ses opérations en conformité avec ses standards d’opération et avec les lois et règlements. Elle répondra aux demandes des autorités le cas échéant", précise l’entreprise.
Investir toujours plus dans les énergies fossiles
TotalÉnergies continue d’investir massivement dans les énergies fossiles. Le 27 septembre dernier, quelques jours après le dépôt de la plainte, le groupe a annoncé vouloir augmenter sa production d’hydrocarbures "de 2 à 3 % par an sur les cinq prochaines années". Cette nouvelle campagne d'investissement est pleinement assumée par le PDG de la multinationale, Patrick Pouyanné, à travers les nouveaux méga projets fossiles du groupe, dont le projet EACOP en Ouganda et en Tanzanie. Celui-ci prévoit le forage de 400 puits pétroliers à la lisière d’un des plus grands lacs d’Afrique et la construction d'un oléoduc de 1 445 kilomètres afin d’exporter le pétrole. Il s’agira du plus long pipeline chauffé et enterré au monde.
"L’action de Total est criminelle", tance Pierre Larrouturou, président de l’association Stop EACOP-Stop Total en Ouganda, interrogé par Novethic. "Nous avons aussi eu la preuve lors de notre voyage en Ouganda que Monsieur Patrick Pouyanné a convaincu lui-même les dirigeants du pays de lancer le projet EACOP, alors que ces derniers s’apprêtaient à lancer un meilleur projet pour la planète", ajoute-t-il.
Désormais, les quatre associations espèrent au regard de l'urgence climatique que le parquet de Nanterre s’empare du dossier afin d’obliger TotalÉnergies à réorienter radicalement sa stratégie d’investissement vers les énergies renouvelables, comme il avait déjà pu le faire avec l'ouverture d'une enquête judiciaire pour "pratiques commerciales trompeuses" en 2021.