H&M, Primark, Inditex, Levi’s, Decathlon, Cache-cache… Une quarantaine de marques sont une fois de plus épinglées pour soupçon de travail forcé des Ouïghours en Chine. Un nouveau rapport, commandé par le groupe socialiste du Parlement européen, et publié mercredi 6 décembre par l’Université Hallam de Sheffield en Grande-Bretagne, avec la collaboration d’ONG de défense des droits de la minorité musulmane ouïghour, montre en effet qu’"un volume important de vêtements entaché par le travail forcé ouïghour entre dans l’UE sans restriction".
Pour remonter la piste de ces grandes marques bien connues du public, l’équipe de recherches est partie de la source, une démarche plutôt inhabituelle. Elle a identifié quatre grands fabricants de tissus et de vêtements basés en Chine dans la région autonome ouïghoure du Xinjiang, puis les a reliés aux détaillants à l’aide de sources accessibles au public comme les données d’expédition ou les rapports financiers. Un travail de longue haleine tant les intermédiaires sont nombreux.
Tentatives de dissimulation
Prenons le cas de Zhejiang Sunrise, un important fabricant chinois de vêtements et de tissus, qui est accusé de faire travailler de force des Ouïghours. S’il a récemment cessé de répertorier ses clients dans son rapport annuel, les registres douaniers consultés par les auteurs du rapport indiquent que Zhejiang Sunrise envoie des tissus à ses filiales Smart Shirts au Sri Lanka et au Vietnam, et à May YSS, autre filiale au Vietnam. Or, si les marques internationales ne s’approvisionnent plus directement auprès de Zhejiang Sunrise, elles le font justement via ses filiales Smart Shirts et May YSS.
Interrogé par les auteurs du rapport, Smart Shirts, qui fournirait des marques comme Calvin Klein, Ralph Lauren, Hugo Boss ou encore Tommy Hilfiger, assure pour sa part s’approvisionner hors de Chine. Ce confectionneur dit avoir développé un "système de traçage avancé", et à ne pas s’approvisionner "sciemment" en matériaux auprès d’entités qui recourent au travail forcé. Il précise en outre être entièrement conforme à la loi américaine sur la prévention du travail forcé ouïgour.
"Les entreprises tentent de dissimuler leur participation au travail forcé des Ouïghours", expliquent les auteurs du rapport. Ils détaillent ainsi une myriade de tactiques qu’elles déploient pour dissimuler leurs opérations dans la région, allant de la suppression de la publicité en ligne au changement de nom d’entreprise. Ils pointent aussi les certifications privées telles que celles délivrées par la Better Cotton Initiative (BCI) ou le Global Organic Textile Standard (GOTS), ainsi que les références internationales publiques comme l’accréditation BetterWork de l’OIT/IFC, qui "ne tiennent généralement pas compte du travail forcé imposé par l’État".
"Le scandale continue"
Parmi les marques qui ont répondu aux auteurs de l’étude, Hugo Boss indique ne va pas avoir de lien avec Zhejiang Sunrise mais avec Smart Shirts Viêtnam et avec May YSS. "Dans le cadre d’une révision générale de notre réseau de fournisseurs, nous nous en éloignons actuellement, mais certaines livraisons se poursuivront jusqu’en 2024 pour des raisons contractuelles", explique le groupe basé en Allemagne.
Au-delà de ces exemples, le rapport est formel : la région ouïghoure produit environ 23% de l’approvisionnement mondial en coton et 10% du PVC mondial, un matériau clé dans la production de vêtements et d’accessoires de protection.
Alors que les États-Unis ont interdit l’importation de biens fabriqués grâce au travail forcé dans le Xinjiang en 2022, le rapport cible l’Union européenne. "Quatre ans après les premières révélations sur l’esclavage des Ouïghours, le scandale continue", a twitté l’eurodéputé Place publique Raphaël Glucksmann. "Il y a donc urgence à accélérer l’adoption définitive des législations sur lesquelles nous nous mobilisons : la directive sur le devoir de vigilance des entreprises et le règlement sur l’interdiction des produits du travail forcé. La bataille s’annonce rude avec les lobbies et certains États membres de l’UE", précise-t-il.
Concepcion Alvarez