Publié le 23 février 2022
ÉCONOMIE
Travail forcé, atteinte à l’environnement : Bruxelles soumet les grandes entreprises à un devoir de vigilance
Après des mois de négociations, Bruxelles vient de divulguer son projet de directive sur le devoir de vigilance obligeant les multinationales à prendre en compte leurs impacts environnementaux et sociaux sur l’ensemble de leurs chaînes de valeur. Un enjeu de taille qui marque un véritable tournant dans la responsabilisation des entreprises.

@Aref Karimi /AFP
Directive européenne sur le devoir de vigilance. Derrière cet intitulé peu évocateur, se cache une petite révolution pour l’Union européenne. Ce 23 février, la Commission européenne a en effet présenté son projet de législation visant à réguler les pratiques des multinationales sur le plan environnemental et social. Ce texte était attendu depuis le mois de juin. Il a été reporté plusieurs fois en raison des négociations intenses au sein de la Commission. L’objectif est clair : éviter que le drame du Rana Plaza ne se reproduise.
Le 24 avril 2013, une usine textile s’effondre au Bangladesh provoquant la mort de plus d’un millier d’ouvrières. Les grandes entreprises occidentales, donneuses d’ordre de ces sous-traitants, sont alors pointées du doigt pour leur responsabilité. Près de 10 ans après ce drame, l’UE pourrait enfin contraindre les entreprises à identifier et corriger les manquements dont elles sont responsables, y compris par leurs sous-traitants à l’étranger. La France a été pionnière sur ce sujet en étant la première à adopter une loi sur le devoir de vigilance. Depuis, elle a été rejointe par l’Allemagne. Une harmonisation de cette législation est donc bienvenue.
13 000 entreprises concernées
Concrètement, Bruxelles demande aux entreprises de prendre des "mesures appropriées" pour prévenir et réduire au maximum leurs impacts négatifs potentiels sur les droits humains ou l'environnement sur l’ensemble de la chaîne de valeur. Seuls les grands groupes européens de 500 salariés avec des revenus annuels supérieurs à 150 millions d’euros sont concernés tout comme les entreprises non-européennes qui réalisent un chiffre d’affaires de 150 millions dans l’UE. Des "obligations de vigilance simplifiées" s'appliqueront par ailleurs à de plus petites entreprises travaillant dans des secteurs à risque (textile, cuir, minerais, agriculture, etc.). En tout quelque 13.000 entreprises européennes et 4.000 de pays tiers seraient concernées. Ce périmètre est plus large que le devoir de vigilance français qui ne s’applique qu’aux entreprises tricolores de plus de 5000 salariés.
Olivia Grégoire, la secrétaire d'État française à l'Économie sociale, solidaire et responsable, a longtemps œuvré pour que l'Europe s'équipe d'un devoir de vigilance. "Le devoir de vigilance favorise une économie plus juste et met en cohérence nos importations avec les valeurs humaines, sociales et la défense de l'environnement que nous promouvons en Europe et dans nos déclarations internationales", déclare-t-elle.
"Un bon compromis entre les devoirs de vigilance français et allemand"
Les États, une fois le texte intégré dans leur législation, seraient chargés de superviser son application et d'appliquer des amendes administratives. Les victimes d'infractions, y compris celles commises à l'étranger par des sous-traitants, pourront également engager des poursuites judiciaires dans l'UE pour obtenir des dommages-intérêts, si l'entreprise ne peut démontrer qu'elle a fait tout ce qui était raisonnablement possible pour minimiser les risques.
Des eurodéputés dénoncent cependant un manque d'ambition : "L'exclusion complète des PME signifie que 99% des entreprises européennes poursuivront leurs activités comme si de rien n'était", s'indigne l'Allemande Anna Cavazzini (Verts). En réalité, les PME devront se plier à leurs donneurs d’ordre qui sont eux même soumis au devoir de vigilance. "C’est un bon compromis entre le devoir de vigilance français et le devoir de vigilance allemand. On peut toujours mieux faire mais c’est un texte ambitieux", glisse un expert.
Du côté des ONG, on est moins convaincu. "Même s’il y a certains points positifs comme la responsabilité juridique ou des seuils plus bas qu’en France, la proposition est en deçà de la loi française sur l’accès à la justice notamment", analyse Léa Kulinowski, des Amis de la Terre. La directive n’est cependant pas figée. Elle sera passée au crible par le Parlement européen pour un possible accord prévu fin 2023.
Marina Fabre Soundron avec AFP