Publié le 17 février 2016

SOCIAL

Discriminations : quand le physique nuit gravement à l’embauche

C’est un tabou difficile à contourner pour les entreprises et difficile à faire reconnaître pour les victimes : la discrimination par l’apparence physique. Des candidats sont bel et bien écartés de certains emplois sur ce motif. C’est ce qui ressort du premier bilan sur le sujet effectué par le Défenseur des droits. Un bilan ... accablant. Premières victimes : les femmes et les personnes en situation d’obésité ou de surpoids. 

Photo d'illustration
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Abercrombie rhabille ses "mannequins"-vendeurs... tout un symbole. La marque de vêtements américaine, qui a fondé son succès sur le recrutement de vendeurs au torse sculpté et de vendeuses au décolleté généreux, change de stratégie. Condamné à plusieurs reprises pour discrimination aux États-Unis et au Royaume-Uni, mais aussi pointé du doigt par le Défenseur des droits en France, Abercrombie & Fitch (A&F) fait aujourd’hui face à un recul continu de ses ventes.

Devant la polémique grandissante autour de la marque, son PDG, Christos Angelides, a déclaré en avril dernier que le groupe ne tolérait plus "la discrimination fondée sur l'apparence physique ni sur la beauté". Ses magasins devront donc revoir leur politique de recrutement.

Le cas peut paraître anecdotique tant il est caricatural. C'est pourtant un cas d’école. Car les discriminations à l’embauche sur le critère de l’apparence physique sont une réalité pour de plus en plus de demandeurs d’emploi.

 

Les femmes davantage concernées  

 

Selon le 9ème baromètre du Défenseur des droits et de l’Organisation internationale du travail (OIT) sur la "Perception des discriminations dans l’emploi", publié lundi 15 février, 8% des chômeurs (10% des femmes et 6% des hommes) ayant déclaré avoir été discriminés à l’embauche l’ont été sur leur apparence physique, corporelle ou vestimentaire.

Ce taux atteint 20% chez les demandeurs d’emploi en situation d’obésité et 30% chez ceux qui ont un style vestimentaire atypique. L'étude menée auprès de 1 000 demandeurs d'emploi âgés de 18 à 65 ans porte sur des expériences vécues (questions posées, remarques pendant l’entretien d’embauche).

L'apparence physique est ainsi le deuxième facteur de discrimination le plus cité, derrière l'âge. Les femmes sont particulièrement touchées : deux fois plus que les hommes. D’autant plus si elles sont en situation de surpoids ou d’obésité. Ainsi, les femmes obèses sont huit fois plus discriminées en raison de leur apparence physique que les femmes ayant un indice de masse corporelle (IMC) dans la norme. Pour les hommes, c'est du simple au triple.

Le style vestimentaire peut également constituer un frein à l’embauche. Là encore, plus particulièrement chez les femmes. Celles-ci rapportent avoir été huit fois plus victimes de discrimination sur leur apparence vestimentaire que les femmes ayant un style classique, contre quatre fois plus chez les hommes ayant un style atypique.

 

L’attractivité physique, un diplôme supplémentaire

 

Mais c’est bien sur l’apparence corporelle exclusivement (poids, taille, traits du visage, attractivité physique...) que portent la majorité des discriminations dans l’emploi (63%). C’est la fameuse "première impression" donnée aux recruteurs, contre laquelle il paraît bien difficile de lutter. "L’apparence est un marqueur social, elle dit quelque chose sur nous, analyse Thibaut de Saint Pol, sociologue, chef du bureau en charge de l’état de santé de la population de la DREES. C’est particulièrement vrai dans nos sociétés contemporaines où beaucoup d’interactions passent par la vue et l’image."

De nombreuses études montrent ainsi qu’une apparence "agréable" contribue à décrocher un travail, quel que soit le poste : +12% pour une personne ayant un physique attractif ; de -11 à -15% par rapport à la moyenne pour une personne ayant un physique disgracieux, selon le Défenseur des droits. "L’attractivité physique est un diplôme supplémentaire reconnu par le marché du travail, estime Thibaut de Saint Pol. Les femmes minces obtiennent plus de promotions professionnelles, les cadres sont en moyenne plus grands que les ouvriers, les jeunes obèses ont un taux d’acceptation plus faible dans les établissements supérieurs de haut rang et le temps de chômage augmente avec chaque kg/m2 en plus sur l’IMC."

Pour Sarah Bénichou, cheffe de l’unité "Accès aux droits et discriminations" au Défenseur des droits, cela crée "de la souffrance et de la perte d’estime de soi" chez les salariés. Mais les conséquences côté entreprises existent aussi : "turn-over, hausse de l’absentéisme, baisse de la productivité, risque juridique, risque de réputation..."

 

Test anti-stéréotypes

 

Pour lutter contre ce type de discrimination, Orange lance un test anti-stéréotypes auprès de ses managers, pour savoir à quel moment ceux-ci s’activent. "En prendre conscience, c’est déjà une première étape", explique Christine Rabret, directrice Égalité des chances du groupe. Par ailleurs, l’entreprise questionne ses salariés sur les critères discriminatoires dont ils estiment pouvoir être victimes. "Derrière l’âge, le genre et le diplôme, on trouve l’apparence physique, précise la responsable. C’est en mesurant qu’on pourra mieux agir. Et même si au début il existe des zones d’inconfort, une équipe hétérogène est gage de créativité et d’innovation."

Le Défenseur des droits propose une série de recommandations à destination des recruteurs. Parmi elles, la formalisation d’une procédure de recrutement avec une grille d’évaluation et d’entretien similaire pour chaque candidat, la mise en place du CV sans photographie et l’usage de réseaux sociaux professionnels (et non personnels) pour le recrutement.

 

La difficulté de la preuve

 

Le critère de l'apparence physique, qui n’apparaît ni dans la législation européenne ni dans celle d’autres États de l’UE, excepté en Belgique, figure parmi les 20 critères discriminatoires interdits par la loi française depuis 15 ans, au même titre que l’âge, le patronyme ou l’orientation sexuelle. Il représente 4,2% des réclamations déposées auprès du Défenseur des droits, contre 1% l’année précédente. Et il est rarement invoqué devant les juges. Car il reste très difficile à prouver et aussi parfois à avouer.

Les demandeurs d’emploi ou les salariés victimes de discrimination liée à leur apparence physique peuvent "développer une forme de culpabilité et se dire qu’ils sont responsables de leurs poids par exemple avec l’idée très présente dans l’imaginaire que la personne pourrait faire un régime", témoigne Sylvie Benkemoun, psychologue et vice-présidente du GROS (Groupe de réflexion sur l’obésité et le surpoids). "Ils peuvent également avoir honte et entrer alors dans un processus de désacralisation." 

De fait, les personnes interrogées dans le cadre du baromètre du Défenseur des droits semblent avoir intégré – et même accepté – le fait que l’apparence physique représente bel et bien un critère de recrutement. Ainsi, la majorité des répondants pensent que leur apparence physique a une influence sur le recruteur, même si elle n’est pas importante pour le métier qu’ils recherchent.

45% estiment par exemple que la prise en compte du poids dans l’embauche est acceptable et 43% jugent acceptable de refuser un candidat par manque d’attractivité physique.

"Il existe en plus un risque de venir doubler les inégalités sociales" conclut le sociologue Thibaut de Saint Pol. En effet, les problèmes d'obésité et de surpoids sont plus fréquents dans les milieux les moins aisés.

 

Concepcion Alvarez
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