Publié le 15 juin 2023
SOCIAL
En 10 ans, la consommation de viande a augmenté en France : "Certains considèrent que le poulet n’est pas vraiment de la viande"
C'est une surprise. Alors que les appels à la réduction de viande, très émettrice de gaz à effet de serre, se multiplient, contre toute attente, la consommation de viande ne baisse plus en France. Pire, elle a augmenté de 3% entre 2013 et 2021. Explosion de la consommation de volaille et de plats transformés, faiblesse des politiques publiques... Explications avec Lucile Rogissart, experte alimentation chez I4CE.

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Malgré les sondages qui montrent une baisse de la consommation de viande en France, la réalité est toute autre. Sa consommation y a en fait augmenté de 3% en 10 ans. Comment vous-expliquez cet écart ?
Lucile Rogissart - Il y a un fossé entre les sondages, les enquêtes de consommation, et les statistiques des bilans d’approvisionnement. Les enquêtes de consommation, réalisées par des acteurs publics ou privés, se basent sur un échantillon de personnes. Ces personnes sont appelées à décrire aussi précisément que possible ce qu’elles ont mangé, généralement plusieurs fois sur des périodes de 24h, en espérant que ce soit représentatif de leur régime alimentaire. Mais on ne mange pas la même chose d’une saison à l’autre, si on est avec des amis, si on est au resto… cela diffère. Les enquêtes de consommateurs, intéressantes par ailleurs, sont intrinsèquement soumises à des biais. Beaucoup de gens vont par exemple oublier de dire qu’ils ont mangé de la viande à midi parce qu’ils considèrent que le jambon qui était dans leur sandwich n’en était pas vraiment.
Les bilans d’approvisionnement nous donnent les quantités disponibles à la consommation en retirant les exportations nettes de la production nationale. Elles nous semblent donc être les plus fiables pour dégager des tendances de consommation. Entre 2013 et 2021, France AgriMer observe ainsi une augmentation de 3% de la consommation de viande par habitant.
Dans le détail, la consommation est-elle en hausse pour tout type de viande : bœuf, volaille, porc ?
La viande bovine continue de diminuer (-10% en 10 ans), tout comme le porc (-2% en 10 ans) mais en revanche pour la volaille, c’est une explosion. On l’explique de plusieurs manières. D’abord parce que, certains Français considèrent que le poulet n’est pas vraiment de la viande et oublient de le déclarer. Ensuite parce la volaille est bien moins chère que le bœuf. Or on est toujours dans une dynamique de réduction du budget dédié à l’alimentation. Une manière de faire est donc de switcher le bœuf par la volaille.
On observe par ailleurs que les Français achètent de moins en moins de viande découpée à la boucherie, de moins en moins de poulet entier. La viande est consommée dans beaucoup de produits transformés comme les nuggets par exemple. Or quand on répond à un sondage ou une enquête de consommation, on a moins tendance à s’en souvenir car ce n’est pas une pièce de viande.
On sait que la consommation de viande alimente la crise climatique. Comment expliquez-vous qu’il n’y ait pas une prise de conscience ?
Il y a vraiment un gros manque de politiques publiques sur le sujet. On ne peut pas se reposer sur l’idée qu’on va donner toutes les informations à un potentiel "consom'acteur" qui va adapter ses pratiques à ce qui est éthiquement demandé. Il faut des moyens pour former le personnel dans les cantines scolaires et publiques par exemple, que les repas végétariens soient de bonne qualité et appréciés, ce qui n’est pas toujours le cas. Mais le budget est faible. À titre de comparaison, on dédie un milliard d’euros aux publicités et au marketing sur l’alimentation contre un million sur la promotion des recommandations nutritionnelles. Ce n’est donc pas très étonnant que la publicité et le marketing gagnent les esprits.
Il faut des actions des politiques publiques et des acteurs privés d’ampleur. Et c’est difficile à changer parce que le débat est crispé. Dans les sondages, la majorité s’accorde à dire qu’il faut baisser la consommation de viande, mais en même temps, dès qu’il y a une actualité sur le sujet, par exemple avec les barbecues, on assiste à une hystérisation. Cela bloque l’action publique. On entend dire "ce n’est pas à l’État de me dire ce que je dois manger" mais ce n’est pas du tout forcément la forme qu’une action publique sur ce sujet doit prendre, et l’État n’est pas moins légitime que les acteurs privés qui sont omniprésents. Reste que je suis optimiste sur le fait que les distributeurs avancent, avec le reporting extra-financier, les plans de transition, les distributeurs eux-mêmes anticipent les réglementations. La question est : est-ce que ça sera assez rapide et à la hauteur des enjeux ?
Propos recueillis par Marina Fabre Soundron