Publié le 27 septembre 2015
SOCIAL
Jérôme Introvigne: "Les entreprises doivent totalement repenser leur management"
Jerôme Introvigne est un spécialiste de ce que les uns appellent le "no management", d’autres "le management libéré". Lui parle plutôt de management 2.0. Il explique aux entreprises sceptiques les bienfaits d’un mode de gestion qui traite les salariés en adultes responsables, les associe aux décisions et supprime les niveaux hiérarchiques.

Novethic. Quel est votre diagnostic sur l’état du management en France ?
Jérôme Introvigne. Les statistiques inquiétantes s’accumulent : 17 % des cadres disent être en burn-out, 70 % pensent que leurs compétences sont mal utilisées. Parmi les jeunes diplômés 53 % veulent créer leur entreprise et 78 % ont quitté au bout de 18 mois la société où ils ont commencé à travailler. Cela devrait amener la plupart des entreprises à repenser totalement leur système de management mais elles restent pourtant très rares à passer à l’acte.
Comment l’expliquez-vous ?
Les cas les plus emblématiques comme Google et Apple sont des succès planétaires, d’autres comme les fabricants de Gore-Tex où chaque salarié est son propre manager sont connus et étudiés sur un plan académique. La démonstration est là en termes de créativité, d’intelligence collective et de développement. Pourtant les résistances au changement sont extrêmement fortes.
Le modèle où un très petit nombre de dirigeants prend des décisions qui s’appliquent à tous, était adapté à l’ère de la reproduction à grande échelle des objets ou des services. Aujourd’hui, ce qui marche ce sont des innovations de rupture. Depuis six mois je constate une évolution du discours des chefs d’entreprises, ils commencent à comprendre que pour lutter contre l’érosion inexorable des emplois, il faut casser les modèles existants.
Sur quels leviers peut-on jouer ?
La RSE pourrait jouer un rôle utile en contribuant à repenser la gouvernance de l’entreprise mais elle est pour l’instant très minimaliste. J’anime des séminaires avec des cadres dirigeants qui me demandent la plupart du temps des "solutions modes d’emploi". Je propose d’abord de consulter tous les participants pour avoir un débat collectif ce qui, la plupart du temps les crispe. C’est vraiment difficile de faire évoluer un modèle aussi ancré.
Pourquoi cela serait si impératif de changer de modèle ?
Nous sommes à 5 millions de chômeurs pour 16 millions d’emplois marchands. La robotisation peut, à horizon 10 ou 15 ans, supprimer la moitié d’entre eux. Pour résister nous allons devoir faire appel à notre imagination, devenir free-lance en vendant nos compétences ou nos données. J’explique aux entreprises qu’il faut pouvoir envisager la fin de ce qu’on a toujours fait pour imaginer autre chose.
Evidemment quand j’explique à Michelin qu’il doit se lancer dans des tapis de yoga parce que la demande de pneus va baisser puisque le nombre de voiture en circulation va diminuer ou à Airbus qu’il doit penser à faire des vélos plutôt que des avions, on me regarde d’un air sceptique. Casser le système pyramidal obsolète permet la créativité mais je ne suis pas très optimiste sur la généralisation du management 2.0 même si les jeunes générations y sont déjà très adaptées.
Propos recueillis par Anne-Catherine Husson-Traore @AC_HT_