L’opération séduction menée par Shein prend un nouveau tournant. Après avoir lancé une large campagne de publicité signée Havas et s’être offert une collaboration avec l’influenceuse Magali Berdah sur les réseaux sociaux afin de redorer son blason, le géant de l’e-commerce a annoncé mardi 16 septembre avoir noué un partenariat avec Pimkie, au travers de son programme Xcelerator. Une première pour une enseigne hexagonale. D’ici la fin de l’année, le pure player chinois commercialisera ainsi sur sa plateforme des produits vendus sous la marque Pimkie dans les 160 pays où il est présent.
Concrètement, l’offre de Pimkie sera divisée en deux parties bien distinctes. D’un côté, rien ne changera pour la marque historique. Elle continuera d’assurer la production de ses articles afin d’approvisionner l’ensemble de ses boutiques et son site internet. De l’autre, Pimkie pilotera la création de collections spécifiquement dédiées à Shein, mais ces dernières seront fabriquées dans les usines du géant de l’ultra fast-fashion, puis expédiées directement depuis la Chine via sa chaîne logistique. Construit sous la forme d’une joint-venture, ce partenariat vise à “soutenir et internationaliser la mode française, tout en aidant l’industrie à surmonter les défis structurels auxquels elle fait face”, avance Quentin Ruffat, porte-parole de Shein.
“C’est un peu comme si on perdait notre identité”
De son côté le PDG de Pimkie, Salih Halassi, espère pouvoir doubler l’offre de l’enseigne, passant de 1 500 à 3 000 articles, et réaliser 30% de son chiffre d’affaires grâce au commerce électronique, contre 6% aujourd’hui. L’ambition, “propulser Pimkie vers de nouveaux marchés, avec pour objectif de générer un impact positif sur nos ventes en magasin et de soutenir la création d’emplois futurs”, explique-t-il auprès de nos confrères des Echos. Des arguments qui ne convainquent pas les salariées de la marque française. “Pimkie ne recevra rien financièrement puisque les commissions iront dans une autre entité juridique”, estime Marie-Annick Merceur, déléguée syndicale CFDT de Pimkie, interrogée par Novethic.
L’entreprise, qui a enchaîné ces dernières années deux plans sociaux et une procédure de sauvegarde, souffre comme de nombreuses enseignes de difficultés, attribuées en partie à la montée en puissance de l’ultra fast-fashion. Pour autant, les salariées ne voient pas d’un bon œil cette association “inattendue”. “Ça a été un petit choc, confie Marie-Annick Merceur. J’ai bientôt 39 ans d’ancienneté, j’ai connu la vraie marque Pimkie, c’est un peu comme si on perdait notre identité. Honnêtement, j’ai presque honte de travailler pour Shein”. Depuis l’annonce, la déléguée syndicale constate des réactions parfois “violentes” sur les réseaux sociaux, allant jusqu’à l’appel au boycott. “A moyen terme, on a peur qu’il y ait un amalgame, mais aussi que ça cannibalise nos magasins. J’ai peur que les clientes ne comprennent pas comment ça fonctionne et ne viennent plus chez nous. En magasin, ça sera une collection à part, mais qui nous dit que dans un an, on ne va pas se mettre à vendre les mêmes produits”.
Levée de boucliers du secteur
L’association familiale Mulliez (AFM) à laquelle Pimkie appartenait jusqu’en 2023 a quant à elle annoncé saisir la justice, estimant que les fonds mis à disposition lors de la cession de l’enseigne, soit près de 140 millions d’euros, feraient ici l’objet d’un “usage (…) manifestement contraire à leur finalité”.
Du côté des acteurs du secteur, le partenariat noué entre les deux entreprises relève de la trahison. “Associer une marque française historique comme Pimkie à Shein, c’est donner raison à un modèle qui nie les droits sociaux, piétine les enjeux environnementaux et désorganise l’industrie”, s’insurge Yann Rivoallan, président de la Fédération française du prêt à porter féminin. Dans un communiqué, il condamne ce partenariat et appelle Pimkie à l’abandonner. “Shein ne sera pas le sauveur des enseignes ! Il en est le fossoyeur par une stratégie prédatrice”, dénonce par ailleurs Yohan Petiot, directeur général de l’Alliance du commerce. “C’est le résultat également du laxisme en place ces dernières années qui a permis aux grandes plateformes étrangères de prospérer (…). Que faut-il attendre pour que l’Union européenne se réveille enfin ? Que d’autres enseignes soient obligées de se jeter dans les bras de Shein ou de Temu ?“, questionne-t-il dans un post publié sur LinkedIn.
“Cette situation joue un rôle d’électrochoc”
Car c’est bien là l’une des inquiétudes des opposants au modèle porté par l’ultra fast-fashion. “Cette situation joue un rôle d’électrochoc. Ce n’est qu’un premier pas, mais on se rend compte de l’ambition réelle de Shein qui est de prendre encore plus de parts de marché et peut-être d’avoir à terme une position monopolistique”, observe auprès de Novethic Pauline Debrabandere, coordinatrice de campagnes pour Zero Waste.
Une stratégie qui pourrait également permettre à l’entreprise de passer entre les mailles du filet de la loi anti fast-fashion en préparation. En l’état, le texte exclue en effet les plateformes multi-marques. “C’est l’un des gros soucis sur lesquels on avait interpellé, rappelle à Novethic Pierre Condamine, chargé de campagne surproduction aux Amis de la Terre. Ici nous avons le meilleur cas d’étude sur la manière dont Shein peut contourner la loi”. “Maintenant que c’est révélé, on espère que les sénateurs et les députés vont réfléchir à cette problématique lors de la commission mixte paritaire qui arrive”, ajoute Pauline Debrabandere. Prévue à l’automne, elle pourrait permettre à la loi de retrouver toute son ambition initiale, en s’attaquant aux pratiques de l’ultra fast-fashion et en soutenant les acteurs engagés dans une production plus durable.