Publié le 30 octobre 2017

GOUVERNANCE D'ENTREPRISE

Procès des "Biens mal acquis" : le début d’un long combat pour restituer l’argent aux populations victimes

En condamnant le vice-président de la Guinée équatoriale, Teodoro Obiang, et en pointant du doigt la complaisance de certaines banques dans l’affaires des biens mal acquis, la justice française veut essayer de tourner la page de l’accaparation des revenus de ressources naturelles en Afrique par quelques individus. Mais ce n’est que le début d’un long combat pour, maintenant rendre l’argent détourné aux populations locales

Le vice-président de Guinée équatoriale, Teodoro Obiang, a été condamné à 3 ans de prison avec sursis dans le cadre de l'affaire des "Biens Mal Acquis".
Transparency International

Il y aura un avant et un après 27 octobre 2017. Le tribunal de grande instance de Paris  a condamné le vice-président et fils du président de la Guinée équatoriale, Teodoro Obiang, à 30 millions d’euros d’amendes et à trois ans de prison avec sursis. C’est la première personnalité africaine à être condamnée dans le cadre de l’affaire dite des Biens Mal Acquis. Il est reconnu coupable d’avoir blanchi plus de 150 millions de dollars en France entre 1997 et 2011. Une avancée majeure après un combat de 10 ans.

L’affaire des Biens Mal Acquis désigne une procédure pour blanchiment des produits de la corruption, initiée par les ONG Sherpa et Transparency International, à l’encontre des présidents du Congo-Brazzaville (Denis Sassou Nguesso), du Gabon (Omar Bongo Ondimba) et de la Guinée Equatoriale (Teodoro Obiang) ainsi que des membres de leur entourage.

En plus de la condamnation, l’ensemble des biens de Teodoro Obiang vont être saisi, à savoir un hôtel particulier de 4 000 mètres carrés, avenue Foch, à Paris pour 107 millions d’euros, des œuvres d’art pour 18 millions d’euros, et des voitures de luxe pour 7 millions d’euros.

La malédiction des ressources

Cette décision de la justice française marque la dénonciation d’un système ancien. Elle exprime le fait qu’un individu ou une famille ne peut plus s’accaparer l’argent issu de la ressource naturelle d’un pays en toute impunité. Dans le cas de la Guinée équatoriale, cette ressource naturelle est le pétrole. Le pays, qui a produit 270 000 barils en 2016 pour générer 10 milliards de dollars de revenus, est d’ailleurs devenu membres de l'Organisation des pays exportateurs de pétrole (OPEP) en 2017.

Tandis que Teodoro Obiang a pu accumuler des millions, plus de la moitié de population de son pays  vit avec moins de 1 dollar par jour. "Ce jugement historique dans l’affaire des Biens mal acquis marque une étape décisive dans la lutte contre l’impunité et adresse un signal fort à tous les dirigeants corrompus du monde entier : à présent, où qu’ils se trouvent, ils ne sont plus à l’abri de poursuites", juge Transparency International dans un communiqué.

Le rôle des banques

Le tribunal a aussi pointé du doigt les acteurs financiers pour les difficultés de la procédure qui a pris plus de dix ans. "Le président du tribunal a cité la lenteur de la réaction de certaines parties du système bancaire français qui ont contribué à ce que ces sanctions soient suspendues et donc plus clémentes", rapporte l’agence de presse Reuters.

"L'attitude de Société Générale, comme celle de la Banque de France, a pu conduire (Teodoro Obiang Mbasogo) à penser qu'il y avait, en France, une sorte de tolérance pour ces pratiques", a expliqué Bénedicte de Perthuis, présidente du tribunal. Elle cite le cas d’un "compte de passage" ouvert à la Banque de France qui a vu passer 70 millions de dollars "sans qu’aucune alerte ne soit déclenchée".

Un manquement qui renvoie à la mise en place depuis 2017 d’un devoir de vigilance des grandes entreprises. Il impose le déploiement d’un plan de surveillance pour prévenir les risques en matière d’environnement, de droits humains mais aussi de corruption en France comme à l’étranger.  

Devenir des biens saisis

La question est désormais de définir le devenir des biens récupérés, dont la saisie ne sera possible qu’à l’issue d’un recours de la défense devant la Cour internationale de justice. "Il nous faut désormais mettre en place les fondements légaux qui permettront le moment venu de restituer l’argent aux populations de Guinée équatoriale, premières victimes de ces détournements", rappelle Transparency International.

Dans ce cadre, l’ONG soumettra à l’Assemblée nationale un plan le 23 novembre prochain. Il se décompose en quatre points. Premièrement, les fonds confisqués tout comme les sommes d’argent recouvrées doivent être isolés du budget général de l’État et consignés sur un compte spécial dans l’attente de leur affectation au profit des populations des états d’origine. Deuxièmement, les fonds devront être affectés exclusivement à l’amélioration des conditions de vie des populations des pays d’origine et/ou au renforcement de l’état de droit et à la lutte contre la corruption.

Troisièmement, une procédure de consultation doit être menée de manière transparente et inclusive en faisant notamment intervenir les représentants de la société civile. Quatrièmement, Les fonds doivent être gérés de manière transparente et leur utilisation contrôlée de manière rigoureuse. Pour ce dernier point, cette gestion, sous la responsabilité de l’autorité de l’État français, pourrait échoir entre les mains d’une ONG ou d’une fondation dédiée.

La mise en place d’un tel dispositif législatif, qui devrait être accepté sans difficulté par la France selon les proches des dossiers, pourrait ouvrir la voie à des décisions équivalentes dans d’autres pays, comme les États-Unis ou la Suisse, où les mêmes procédures judiciaires sont en cours.

Ludovic Dupin et Anne-Catherine Husson-Traore


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