Publié le 17 mai 2023
ENVIRONNEMENT
Bienvenue en enfer climatique : l’Alberta brûle mais la production de pétrole continue
Plus de 520 000 hectares ont déjà brûlé dans des incendies de forêt particulièrement ravageurs pour un mois de mai à l’ouest du Canada. La catastrophe, d’une ampleur sans précédent, touche l’un des premiers pays producteur mondial de pétrole. Brièvement interrompue, la production a repris au bout de quelques jours et aucune des principales candidates au poste de ministre de l'Alberta ne veut remettre en cause la manne économique que représentent les sables bitumineux.

@Megan Albu / AFP
L’Alberta brûle. Des incendies de forêts massifs durent depuis plusieurs jours dans cette province du Canada où se multiplient les évacuations et les états d’urgence. Les températures sont très élevées (plus de 30 degrés) et le temps particulièrement sec pour un mois de mai dans cette région de l’ouest du Canada. Le nombre de foyers toujours actifs dépasse les 80. Et des dizaines de milliers de personnes ont été évacuées, dont 5 000 représentants des peuples premiers.
La catastrophe d’une ampleur sans précédent touche l’un des premiers producteur mondial de pétrole via l’exploitation des sables bitumineux. Cette technique d’exploration pétrolière, la plus émettrice de CO2, est responsable d’une augmentation spectaculaire des émissions de gaz à effet de serre de la région, +463% depuis les années 90. Brièvement interrompue en raison des incendies, la production pétrolière et gazière a repris son cours dès le 15 mai enregistrant simplement une baisse de 3,7% environ, soit 319 000 barils par jour.
Un enjeu électoral majeur
Les incendies sont en train de devenir un enjeu électoral majeur dans l’État qui doit désigner le 29 mai prochain sa prochaine première ministre. Les Albertains doivent choisir entre la Première ministre sortante Danielle Smith (Parti conservateur Uni PCU) et Rachel Notley (Nouveau Parti Démocratique) qui a dirigé l’État jusqu’en 2019. Les deux partis sont au coude à coude. Pour Janet Brown d’Opinion research interrogée par Radio Canada sur le grand débat télévisé qui les réunira le 18 mai : "la plus grande erreur qu’elles peuvent commettre, c'est de donner l'impression de sous-estimer l'impact que les feux ont sur les personnes directement concernées, et la deuxième plus grande erreur, c'est de donner l'impression d’en profiter".
Pour l’instant, les deux candidates se concentrent sur l’aide aux populations en détresse en sachant qu’aux difficultés liées à l’évacuation s’ajoute un épais nuage de pollution, un smog sous lequel vivent par exemple les habitants de Calgary.
Here's a timelapse showing the sun rising through wildfire smoke sitting over #Calgary... then the smoke sinks down, swallowing up our city. We are currently under an Air Quality Statement.#ABFire #ABstorm #YYC #Alberta #ABFires pic.twitter.com/QgSCkaB4ON
— Tiffany Lizée (@TiffanyLizee) May 16, 2023
Ne pas opposer environnement et économie
Si tous les observateurs soulignent la gravité du phénomène et son lien direct avec le changement climatique, les candidates au poste de premières ministre ne vont pas jusqu’à remettre en cause le modèle d’exploitation pétrolière qui fait la richesse du pays. Danielle Smith est concentrée sur les baisses d’impôts et sa volonté de ne plus voir imposer à l’Alberta les lois fédérales canadiennes, à commencer par celle prise en faveur de la lutte contre le changement climatique.
Rachel Notley, elle, était en poste lors des dramatiques feux de mai 2016 à Fort Mac Murray. Sept ans après, les leçons de cette sérieuse alerte ne semblent avoir été tirées qu’en partie puisque d’abandon, il n’est plus question. "Nous n'allons pas opposer l'environnement à l'économie. Cette attitude ne nous mène nulle part. Nous allons plutôt diversifier les activités pétrolières et gazières en développant le secteur de la pétrochimie et en multipliant les modes d'utilisation des sables bitumineux, pour fabriquer plus de produits chez nous, en Alberta" a-t-elle déclaré.
84% des réserves identifiées en Alberta doivent rester dans le sol
Les grands producteurs mondiaux d'énergies fossiles ont pourtant une responsabilité importante dans les incendies de forêts. Selon une étude publiée jeudi 11 mai dans la revue scientifique Environmental Research Letters, ils sont en effet responsables de plus du tiers des surfaces brûlées par des feux de forêt depuis quarante ans dans l’ouest de l’Amérique du Nord. En cause, leurs émissions de dioxyde de carbone et de méthane qui contribuent à la sécheresse atmosphérique. L’Alberta produit 80% du pétrole canadien, aux trois quarts à partir de sable bitumineux dont la production n’a cessé d’augmenter.
Or, selon une autre étude publiée dans la revue scientifique Nature, il faudrait laisser dans le sol 84% des réserves identifiées en Alberta pour respecter une trajectoire alignée sur l’Accord de Paris et la neutralité carbone. Le Canada impose en principe à l'industrie pétrolière et gazière une réduction de ses émissions de gaz à effet de serre de 42% d'ici 2030 comparativement à 2019. Mais les représentants du secteur ont d’ores et déjà annoncé que ce serait au plus tôt en 2035 et confirment que les principales infrastructures pétrolières et gazières n'ont pas été endommagées par les incendies de forêt.
Anne-Catherine Husson-Traore, directrice des publications de Novethic