C’est une première : un “congé climatique” vient d’être voté en Espagne. La mesure fait suite à la terrible catastrophe des inondations de Valence, qui a posé avec une acuité particulière la question de la protection des salariés en cas d’alerte météorologique. Par centaines, des salariés avaient été bloqués par les inondations. Certains, qui n’avaient pas été autorisés à rester chez eux, ont été retrouvés mort. Pour éviter que des drames similaires ne se reproduisent, le gouvernement espagnol vient d’approuver en conseil des Ministres l’instauration d’un “congé climatique” pour les salariés en cas d’alerte météorologique majeure décidée par les autorités nationales ou locales.
“Aucun travailleur ne doit prendre de risques” lors d’alertes météorologiques, déclarait ainsi Yolanda Diaz, Ministre du Travail espagnole, issue de la gauche, au moment de l’annonce de la mesure. Très concrètement, les salariés qui ne peuvent pas se rendre de manière sûre au travail et ne peuvent pas télétravailler pourront dorénavant bénéficier d’un congé payé de 4 jours maximum, rémunéré par l’Etat, le temps que les conditions météorologiques se rétablissent. Une fois ce délai écoulé, si le retour au travail n’est pas possible, les entreprises auront la possibilité de décider de dispositifs de chômage partiel.
Vigilance climatique pour les entreprises
En outre, les entreprises espagnoles devront mettre en place, d’ici un an, un plan de prévention des risques liés aux catastrophes et événements météorologiques extrêmes pour formaliser des process. Des mesures qui devront être communiquées aux salariés de manière anticipée, et qui pourront être déclenchées pour les protéger lors d’alertes météorologiques. Avec ces dispositifs, l’Etat espagnol crée de facto une obligation de vigilance climatique pour les entreprises espagnoles vis-à-vis de leurs salariés.
La mesure instaurée en Espagne illustre en tout cas un débat essentiel portant sur la sécurité des travailleurs face aux catastrophes climatiques, celles-ci étant de plus en plus fréquentes avec le réchauffement climatique. Au Canada, où les tempêtes de neige empêchent régulièrement les salariés de se rendre au travail, des “congés d’urgence”, non payés, peuvent être pris par les salariés en cas d’urgence météorologique. Aux Etats-Unis, plusieurs élus au Congrès ont ouvert le débat en 2022 avec le projet Worker Safety in Climate Disasters Act, qui prévoyait d’instaurer notamment des congés et des mesures de protection pour les salariés en cas d’alerte. Jamais finalisé, il est pourtant plus que jamais d’actualité, alors que le territoire américain a été cette année frappé par un nombre record de cyclones.
En France, la question avait également été mise en discussion par les syndicats, lors des inondations dans le Pas-de-Calais, il y a un an. La CFDT demandait notamment aux pouvoirs publics d’accorder à ses agents des congés pour faire face aux conséquences des inondations. Mais le droit français est assez flou sur le sujet. Si les salariés ont la possibilité de ne pas se rendre à leur travail en cas de force majeure, leur rémunération est alors suspendue pour la période d’absence. Surtout, peu de choses sont spécifiquement prévues concernant les devoirs des entreprises ou de l’Etat lorsque des alertes météorologiques sont en place.
Responsabilité des employeurs
En théorie, “les employeurs ont une obligation de résultat en matière de sécurité de leurs salariés, à leur poste de travail ou lors de leurs déplacements liés au travail”, explique à Novethic Johan Zenou, avocat en droit social. En cas d’alerte météorologique, la responsabilité des entreprises pourrait donc être engagée si des salariés subissaient un préjudice en se rendant au travail ou durant le travail. Le Code de la Sécurité Sociale tend ainsi à considérer qu’un employeur commet une “faute inexcusable” “s’il laisse ses salariés travailler en ayant connaissance d’une situation d’alerte qui fait peser un risque sur les travailleurs”, explique Johan Zenou.
Mais la jurisprudence est variable sur le sujet : en 2018, la Cour de Cassation a ainsi débouté une salariée qui attaquait son entreprise après avoir glissé sur une plaque de verglas sur le parking de son lieu de travail, alors qu’une alerte orange verglas avait été émise. La Cour a considéré que l’alerte météo, émise tardivement, ne permettait pas à l’entreprise d’avoir eu connaissance des risques et de prendre les mesures ad hoc et que sa responsabilité ne pouvait dès lors pas être engagée. “Chaque situation doit être jugée au cas par cas”, analyse Johan Zenou.
“Avec le réchauffement climatique, la multiplication des catastrophes météorologiques, des inondations, des tempêtes, des épisodes de verglas, ce sont des questions en cascade qui vont se poser pour la sécurité des salariés et la responsabilité des employeurs”, ajoute l’avocat. Des questions que vont aussi devoir se poser les législateurs autant que les employeurs et les gestionnaires des ressources humaines dans les entreprises. Pour Barthelemy Hick, spécialiste des enjeux écologiques pour les RH, l’exemple espagnol est en tout cas “une étape importante pour adapter le droit du travail aux réalités de l’urgence climatique” et “un signal fort de prise en compte des effets du dérèglement climatique d’un point de vue RH”. Reste à savoir si les acteurs économiques sauront être proactifs et se saisir de cette question essentielle, ou s’il faudra attendre que d’autres Etats, à l’image de l’Espagne, prennent des mesures législatives pour protéger les travailleurs.