Publié le 4 avril 2024

Quelle protection pour les déplacés climatiques ? Alors que la Convention de Genève relative au statut des réfugiés n’intègre pas la crise environnementale, Marine Denis, doctorante en droit international public et juriste pour l’association Notre Affaire à Tous, revient sur les alternatives existantes et les risques à venir. Entretien.

Il n’existe pas de statut pour les réfugiés climatiques, faut-il en créer un selon vous ?

Aujourd’hui, le statut de réfugié est régi par la Convention de Genève de 1952, qui vise à protéger toute personne ayant fuit son pays parce qu’elle a subi des persécutions du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques. C’est cette définition que le juge français retient pour accorder l’asile. Aucun enjeu environnemental et climatique n’est dès lors considéré comme une persécution valable. Pour les intégrer, cela nécessiterait de réécrire la Convention, un processus long mais surtout très incertain. Dans le contexte actuel, on s’exposerait à des reculs sur d’autres sujets. Créer un nouveau statut pour les déplacés climatiques n’est donc pas l’urgence selon moi. Ce n’est pas la thèse que je défends si on veut aller vite et être ambitieux.

Que préconisez-vous ?

On peut s’appuyer sur le droit existant et notamment les Principes directeurs relatifs aux déplacements internes de la Commission des droits de l’homme de 1998. Le texte est beaucoup moins protecteur que le statut de réfugié mais il garantit au moins le non-refoulement et le respect des droits humains pour les déplacés internes. Or, aujourd’hui, on a souvent tendance à l’oublier, mais les déplacements environnementaux sont majoritairement internes (on compte en 2022, 32 millions de déplacés internes dans le monde en raison de catastrophes environnementales). Je préfère d’ailleurs le terme de déplacement que de migration car il n’implique pas de franchissement de frontière. Il correspond donc mieux à la réalité.

Ces principes peuvent-ils être invoqués pour attaquer un Etat qui ne les auraient pas respectés ?

Non, c’est là la limite de ce qu’on appelle “le droit mou” (soft law). En revanche, le Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR) peut être mandaté par un Etat ou par l’Assemblée générale des Nations-Unies pour assurer la protection des déplacés. Cela se fait de plus en plus face aux événements climatiques extrêmes, en collaboration avec d’autres organismes et les ONG. On pourrait aussi imaginer qu’un Etat soit poursuivi par l’un de ses ressortissants devant la Cour des droits de l’homme si ses droits sont bafoués – droit à la dignité, droit à la vie… – au cours d’un projet de relocalisation par exemple.

Existe-t-il des précédents juridiques ?

En 2020, le Comité des droits de l’homme des Nations-Unies, qui est un organe consultatif, a reconnu que le changement climatique représentait une grave menace pour le droit à la vie et que les décideurs devaient tenir compte de cela quand ils envisagent d’expulser des demandeurs d’asile. L’affaire concerne Ioane Teitiota, originaire des Kiribati. Il avait assigné le gouvernement néo-zélandais car sa demande d’asile en tant que “réfugié climatique” avait été déboutée. C’est une première. C’est un contentieux qui en est à ses débuts, il va être intéressant de suivre ce type d’affaires. Le HCR pourrait aussi intégrer des critères liés au changement climatique et considérer qu’ils peuvent constituer un motif de persécution. C’est de l’interprétation.

On voit aussi apparaître des accords régionaux comme entre l’Australie et le Tuvalu. Peuvent-ils se généraliser ? 

Il n’y aura pas vraiment de difficultés pour les Etats du Pacifique d’abord parce qu’ils sont faiblement peuplés et qu’ils ont un historique de migration, économique notamment, déjà fort. Mais les enjeux géopolitiques seront bien plus complexes entre l’Inde et le Bangladesh par exemple où on parle d’un report de 30 à 40 millions de Bangladais. Comment l’Inde va-t-elle se positionner ? Quid des Etats tiers, les Etats du Golfe par exemple ? Des accords existent déjà pour la migration économique, quelle part le facteur environnemental pourra-t-il prendre ? Donc, oui, en théorie on peut imaginer plein de choses, des visas climatiques, des passeports climatiques, mais il faut les espaces politiques pour les mener. Car ne nous y trompons pas : les freins ne sont pas juridiques mais politiques.

Cet article est le troisième épisode d’une série consacrée aux déplacés climatiques. Retrouvez les deux premiers épisodes ici

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