“Bonjour, je m’appelle Julien”, “Moi, c’est Cathy”, “Aude”, “Arthur”… Les visages sont pour la plupart familiers mais pour les petits nouveaux, comme nous, un petit rappel des règles s’impose. “Bienvenue aux Capitalistes Anonymes, je rappelle que la seule condition pour participer à ce cercle est la volonté d’entamer une démarche de sobriété”, explique Julien, 38 ans, animateur de la séance et fondateur de ce groupe de parole. Il est 18h45 tapantes, et les présentations ont déjà commencé, malgré quelques retardataires qui nous rejoignent.
Ils sont, ce mercredi soir, une dizaine à être assis en cercle sur des chaises toutes différentes les unes des autres, mais confortablement agrémentées de coussins. Comme tous les quinze jours, depuis le 23 novembre 2022, ils se sont donnés rendez-vous au café associatif La Fabrique, au pied du quartier des Epinettes, à Issy-les-Moulineaux (Hauts-de-Seine) en région parisienne.
Vers des quotas carbone ?
Ce soir-là, le groupe aborde la septième et avant-dernière étape du programme : se confronter aux limites de justice sociale et aux obstacles politiques pour pouvoir rester sobre et militer pour lever les freins qui entravent notre sobriété au quotidien. Julien pose une première question pour ouvrir le débat : “vous sentez vous encouragé ou au contraire découragé par les mesures politiques et sociales concernant la transition écologique ?” “Je suis dépitée”, lance sans hésiter Aude, statisticienne au ministère de la Santé.
Pour la quadragénaire, “tant que le PIB et la croissance sont utilisés comme boussole par les hommes politiques, on ne pourra pas avancer dans le bon sens”. Plusieurs mains s’agitent en signe d’approbation. Marie-Noëlle voit à l’inverse le verre à moitié plein. “Il y a une prise de conscience qui a émergé depuis quatre ou cinq ans, de plus en plus de personnes qui font du vélo, les transports en commun sont pleins”, défend-elle.
Face à ce constat que tous partagent, ces Capitalistes Anonymes sont amenés à réfléchir aux solutions politiques qui pourraient faire sauter les derniers freins pour atteindre la sobriété. Aude, qui avoue “être parfois dans l’extrême”, serait pour la mise en place d’un quota carbone par personne. “J’y suis favorable sous réserve que ne se développe pas en parallèle un marché d’échange des quotas carbone. Il est évident que quelqu’un aura cette idée et ça ruinera l’efficacité de la mesure”, abonde Aurélie. Elle se dit en revanche favorable aux mesures d’incitations écologiques comme certaines entreprises peuvent le faire en offrant notamment deux jours de congés supplémentaires à leurs salariés qui justifient de partir loin en train.
Sortir de son addiction
Diplôme d’ingénieur en poche, Julien bifurque une première fois dans l’humanitaire, mais ce n’est pas suffisant. “Au moment de la sortie du film documentaire ‘Demain’ de Cyril Dion, j’ai eu un déclic écologique”, se souvient-il. Avec l’aide de sa compagne, il décide de tendre à plus de sobriété. Il s’informe, anime des Fresques du climat, mais il ne comprend pas une chose : “Pourquoi personne n’agit alors que tout le monde sait ?”. Il tilte lorsqu’il tombe au détour de quelques recherches sur la définition de l’addiction. D’après le Larousse, “l’addiction est un processus par lequel un comportement humain permet d’accéder au plaisir immédiat tout en réduisant une sensation de malaise interne. Il s’accompagne d’une impossibilité à contrôler ce comportement en dépit de la connaissance de ses conséquences négatives”.
Mais une fois le diagnostic établi, comment s’en sortir ? “Je voulais aller au-delà du discours de sensibilisation pour aller vers une approche de soins car nous sommes bel et bien des addicts au système capitaliste, à ses biens, ses services et aux plaisirs qu’il peut nous procurer”, détaille ce père de deux enfants. Et pour y parvenir, il s’est appuyé sur l’un des plus anciens groupes de parole dans le monde, dont l’efficacité n’est plus à prouver, les Alcooliques Anonymes (AA). D’où le le nom tout trouvé des Capitalistes Anonymes. “Au début, j’ai eu beaucoup de mal avec le nom de ‘Capitalistes Anonymes’, mais je comprends l’idée qu’il y a derrière”, nous confie Aude. Tania, bénévole au Café et qui n’a raté qu’une seule séance depuis le lancement du groupe, avoue que cela a pu être “un frein pour certains, mais au moins cela suscite le débat”.
Quoiqu’il en soit, les 12 étapes développées par les AA ont été adaptées par Julien en 8 étapes clés pour tendre à la sobriété écologique. Parmi lesquelles, celles “d’admettre sa participation, parfois malgré soi, à une société capitaliste”, ou de “faire confiance et se former à la parole scientifique”, en passant également par le fait de “comprendre et de ressentir que la sobriété est autant désirable que nécessaire”.
“Nous ne sommes pas seuls”
20h30. Il est désormais temps de conclure cette séance par le mot – ou plutôt la phrase – de fin pour définir notre société idéale. Dernier tour de table, chacun y va de son souhait : une société plus solidaire… plus apaisée…libérée de ses addictions…en harmonie avec la nature…. Une note finale positive pour rebooster les troupes. C’est ce qui plaît à Tania. “C’est important de se rendre compte que nous ne sommes pas seuls. Je trouve avec ce groupe un vrai soutien au quotidien”, témoigne la sexagénaire. “C’est important de voir que l’on est tous dans la même situation, que le plus compliqué bien souvent est de s’aligner avec ses propres convictions alors que la société nous pousse à consommer toujours plus”, complète Aude.
Avant de quitter la salle, tous notent avec attention la date du prochain rendez-vous. “Gratuit, sans inscription, sans engagement” : chacun est libre d’aller et venir ici ou ailleurs. Car si Issy-les-Moulineaux a vu naître les Capitalistes Anonymes, d’autres cercles de paroles ont ouvert partout en France. Rien que ces dernières semaines, trois nouveaux groupes ont été créés à Mérignac, à Marseille et dans le 20e arrondissement de Paris.
Pour consulter le site des Capitalistes Anonymes ou trouver un groupe de parole à côté de chez soi.