C’est un avis qui était très attendu. Mercredi 23 juillet, les juges de la Cour internationale de justice ont rendu un avis, adopté à l’unanimité, qui fera date dans l’histoire de la justice climatique. Ils devaient répondre à deux questions clés. La première : quelles obligations les Etats ont-ils en vertu du droit international pour assurer la protection du système climatique et d’autres éléments de l’environnement contre les émissions anthropiques de gaz à effet de serre ? La deuxième : quelles sont les conséquences juridiques de ces obligations, lorsque les Etats, “par leurs actes et leurs omissions, ont causé des dommages importants au système climatique” ?
A l’issue d’une audience publique d’un peu plus de deux heures, le juge Iwasawa Yuji, président de la Cour, a conclu que les Etats ont l’obligation d’adopter des mesures pour contribuer à l’atténuation des émissions de gaz à effet de serre et à l’adaptation climatique, mais aussi pour prévenir les dommages environnementaux importants. Il précise en outre que le fait pour un État de ne pas prendre les mesures appropriées peut constituer un fait internationalement illicite imputable à cet État, qui pourra être condamné à octroyer des “réparations” aux pays lésés.
“Quel arrêt clair aujourd’hui ! Quelle victoire pour la justice climatique ! Énergies fossiles, droit à un environnement sain, responsabilité historique, indemnisation, devoirs des États se retirant de [l’Accord de] Paris : l’affirmation des principes juridiques par la Cour ouvrira une nouvelle ère de responsabilité“, s’est immédiatement exclamé Sébastien Duyck, juriste senior pour l’ONG Ciel, le Centre international pour le droit de l’environnement.
Vers la réparation climatique
La Cour a en effet rappelé plusieurs éléments majeurs qui pourront nourrir les contentieux à venir. Sur l’obligation des Etats à agir – la première question -, elle a rappelé que les États parties figurant à l’annexe 1 de la CCNUCC, c’est-à-dire les pays du Nord, “doivent être à l’avant-garde de la lutte contre le changement climatique en réduisant leurs émissions de gaz à effet de serre et en renforçant leurs puits de carbone”.
Le président de la Cour a également rappelé l’obligation pour les Etats parties à l’Accord de Paris de coopérer entre eux et d’élaborer des contributions déterminées au niveau national (CDN) qui, prises ensemble, permettront d’atteindre l’objectif de limiter le réchauffement à 1,5 °C. La Cour précise que des obligations existent également en vertu du droit international coutumier, une façon d’impliquer les Etats-Unis qui ne sont pas plus parties à l’Accord de Paris.
En ce qui concerne les conséquences juridiques – la seconde question -, la Cour estime que le fait pour un État de ne pas prendre les mesures appropriées pour remplir ces obligations peut constituer un “fait internationalement illicite imputable à cet État”. Dès lors, l’État responsable pourra être tenu de cesser ces actes illicites, de fournir des assurances et des garanties de non répétition des actes illicites, mais aussi d’octroyer une réparation intégrale du préjudice subi aux Etats lésés sous la forme d’une restitution. Cela consiste au rétablissement de la situation qui existait avant que le fait illicite ne soit commis, ou dans le cas où celle-ci s’avèrerait matériellement impossible, cette restitution devrait prendre la forme d’une indemnisation. Une demande historique des pays du Sud que vient donc confirmer la Cour.
Les entreprises aussi visées
L’avis précise en outre que si les États ne prennent pas les mesures appropriées en ce qui concerne “la production et la consommation de combustibles fossiles, l’octroi de licences d’exploration de combustibles fossiles ou l’octroi de subventions”, cela peut constituer un acte illicite. “Ce raisonnement s’appliquera bien au-delà du droit international et concernera également les devoirs généraux de diligence de droit privé, y compris ceux des sociétés multinationales. Les États ont le devoir de réglementer les entreprises commerciales afin d’atteindre ces objectifs”, analyse Paul Mougeolle, juriste et coordinateur de “Notre Affaire à tous”.
Plus globalement, cet avis consultatif, non contraignant juridiquement, aura a un “poids juridique et politique important”, complète Andreas Rasche, professeur spécialisé et doyen adjoint à la Copenhagen Business School. Il ouvre la voie à une nouvelle vague de contentieux climatiques à l’échelle mondiale mais va aussi venir renforcer les litiges en cours, notamment ceux contre les entreprises fossiles. Il vient également conclure une série de décisions historiques prises au niveau mondial sur la justice climatique, ces derniers mois.
“Il s’agit d’une préoccupation existentielle d’ampleur planétaire qui menace toutes les formes de vie et la santé de notre planète”, a indiqué le juge Iwasawa Yuji, tout en concluant que “la Cour rend cet avis avec l’espoir qu’il permettra au droit d’inspirer et d’orienter l’action sociale et politique pour résoudre la crise climatique actuelle”. Le Vanuatu, petit archipel du bout du monde à l’origine de l’affaire, s’est félicité à la sortie du tribunal d’une “étape historique” pour le changement climatique.
En 2019, une trentaine d’étudiants de l’université du Pacifique-Sud, rejoints par d’autres étudiants du monde entier, avaient lancé une campagne afin d’obtenir un tel avis de la CIJ. Le Vanuatu avait pris le relais en 2021 et porté le sujet au sein de l’Assemblée générale des Nations unies (AGNU), soutenu par 130 Etats. Début décembre 2024, les juges de la CIJ avaient auditionné près d’une centaine de pays et douze organisations internationales avant de rendre leur avis, ce mercredi 23 juillet.