“Le pétrole est un don de Dieu” : ces mots prononcés par le président azerbaïdjanais le 12 novembre en séance plénière à la COP29 illustrent bien les débats difficiles qui émaillent le sommet climatique de Bakou sur la question des énergies fossiles. Alors que la COP28 s’était achevée sur une victoire pour les acteurs de la transition climatique, avec un accord sur la nécessité de “s’éloigner des énergies fossiles de manière juste, ordonnée et équitable”, les controverses restent vives, les acteurs du secteur des énergies fossiles, de plus en plus nombreux au sein des COP chaque année, s’activant pour préserver leurs intérêts et influencer les négociations. Bakou n’y échappe pas avec pas moins de 1 773 lobbystes fossiles accrédités.
Un rapport publié par InfluenceMap et présenté à la COP29 montre que le lobbying de ces acteurs des énergies fossiles se fait de plus en plus actif pour orienter les choix en matière de politique climatique. Le rapport a ainsi analysé plus de 2 400 discours et positions publiques émanant de plus de 100 entreprises et associations professionnelles des énergies fossiles depuis la COP28 l’année dernière. Leurs conclusions montrent qu’une nouvelle forme de climatoscepticisme est mise en avant par les industriels des énergies fossiles, visant à décrédibiliser la sortie des énergies fossiles pourtant essentielle pour la transition climatique.
Les nouveaux lobbying des énergies fossiles
Les acteurs du secteur auraient ainsi délaissé les traditionnels discours niant l’existence du réchauffement climatique, pour déployer à la place trois principaux narratifs contre la transition énergétique et les politiques de réduction des énergies fossiles. Le premier, c’est le “scepticisme sur les solutions”, qui vise à décrédibiliser les solutions alternatives aux énergies fossiles ou à exagérer les difficultés liées à la transition énergétique, afin de soutenir le statu quo énergétique mondial. Ces discours visent à jeter le doute sur la pertinence des énergies renouvelables, ou vantent les énergies fossiles comme étant des énergies “bas carbone” ou “de transition”, ou encore formulent des critiques amplifiant les coûts des énergies renouvelables et leur dépendance aux matériaux. Ils minimisent l’intérêt de la transition énergétique, arguant que des solutions technologiques comme la capture du carbone ou les nouveaux carburants fossiles permettront de perpétuer l’usage des énergies fossiles en minimisant les impacts sur le climat. InfluenceMap dénombre, durant les premiers mois de l’année 2024, près de 1 100 utilisations de ce scepticisme sur les solutions par les acteurs du secteur, en particulier les associations professionnelles comme l’American gas association et les autres acteurs des énergies fossiles américaines, dont les discours ont été largement repris par Donald Trump durant sa campagne.
Le second narratif, est celui de le “l’accessibilité et de la sécurité énergétique”, ou l’idée que la sortie des énergies fossiles serait une menace pour les prix de l’énergie, la sécurité énergétique nationale, ou même la stabilité économique ou l’emploi. Ces discours visent à faire passer les énergies fossiles comme des ressources essentielles au développement économique, et à exagérer les risques politiques, techniques ou économiques à organiser une sortie progressive des énergies fossiles. C’est notamment ce discours qui est employé par le PDG du pétrolier français TotalEnergies, Patrick Pouyanné, qui estimait il y a quelques jours qu’il fallait continuer à investir dans le pétrole et les énergies fossiles “pour éviter que les prix n’explosent”. Une position bien loin de celle du GIEC, qui montre dans son dernier rapport que le prix des énergies renouvelables a considérablement baissé, au point qu’il est désormais moins élevé que celui des énergies fossiles dans de nombreuses régions, contribuant à une meilleure accessibilité énergétique.
Enfin, les acteurs des énergies fossiles s’opposent également à l’intervention des Etats et des pouvoirs publics en matière de transition énergétique, arguant qu’il faut préserver le libre choix des marchés et des consommateurs. Ces discours critiquent notamment les subventions accordées aux énergies renouvelables, et réclament une prétendue “neutralité des politiques publiques” en matière de transition énergétique, niant ainsi le rôle des institutions politiques dans la définition des choix collectifs nécessaires à la transition climatique.
Des positions incompatibles avec les orientations définies par la science climatique
Le rapport d’InfluenceMap montre également que ces discours de lobbying sont profondément “incompatibles avec les orientations politiques basées sur la science définies par le Giec”. Les derniers rapports du groupe de scientifiques rappellent que la réduction de la production et de la consommation d’énergies fossiles sont des leviers essentiels pour atteindre les objectifs climatiques internationaux et plus généralement les objectifs de développement durable. Déployés dans la sphère publique, dans les débats médiatiques ou politiques, pour influencer les négociations internationales, ces discours contribuent selon InfluenceMap, à “compromettre les objectifs climatiques mondiaux, accélérant le rythme de l’augmentation de la température mondiale et augmentant la probabilité d’impacts climatiques graves.”
La montée de ces nouveaux narratifs climatosceptiques, poussés par les grands acteurs pétroliers, résonne particulièrement alors que l’Ademe vient de publier son rapport annuel sur la perception des changements climatiques par les Français. Outre la hausse du climatonégationnisme dans la population française, cette étude montre que le soutien des citoyens à la transition énergétique, aux énergies renouvelables et aux mécanismes de sortie des énergies fossiles stagne, voire diminue. Ainsi 69% des Français seraient favorables à une hausse de la taxe carbone, à condition qu’elle ne pénalise pas le pouvoir d’achat des ménages, contre 77% en 2020. Signe que le lobbyisme de plus en plus actif des industries carbonées prend racine ? La question mérite qu’on s’y attarde, alors que les COP27, 28, 29 et 30 sont présidées par des Etats producteurs de pétrole et de gaz, et que les émissions liées à la consommation d’énergie continuent à augmenter dans le monde, COP après COP.