Dix ans après l’Accord de Paris pour le climat, c’est au tour de l’océan de connaître enfin son grand raout. Co-organisée par la France et le Costa Rica, la troisième conférence des Nations unies pour les océans, qui se tiendra du 9 au 13 juin à Nice, sera l’occasion d’appeler les dirigeants du monde entier à la préservation du poumon bleu de la planète, trop souvent oublié des rendez-vous environnementaux. Cet événement marquera notamment le lancement officiel de l’International Platform for Ocean Sustainability, aussi appelée Ipos.
La réflexion autour de ce projet est née du constat que “l’océan était le grand absent dans le paysage des engagements onusiens, du moins jusqu’à la COP21 à Paris”, explique Françoise Gaill, biologiste et océanographe française, conseillère scientifique au CNRS et vice-présidente de la plateforme “Océan et Climat”. Ce n’est qu’en 2019 que le GIEC consacre un rapport spécial à l’océan et à la cryosphère, confirmant le lien majeur qui existe avec le climat.
Du savoir à l’action politique
Mais c’était loin d’être suffisant. Pour Alain Schuhl, directeur général délégué à la science au CNRS, “il est urgent aujourd’hui d’organiser la communauté scientifique mondiale autour de la défense d’un océan durable”. Alors l’idée d’Ipos a germé lors d’un séminaire au CNRS sur “L’océan, bien commun de l’humanité“, organisé par la scientifique et navigatrice Catherine Chabaud en 2019, où une trentaine de scientifiques ont commencé à travailler ensemble et à faire un état des lieux de la connaissance. Mais concrètement, en quoi cela consiste ? Co-piloté par Françoise Gaill et Tanya Brodie Rudolph, juriste spécialisée dans le droit de l’environnement et de la gouvernance de l’océan, Ipos se veut un outil pour offrir des réponses concrètes aux États du monde entier.
“L’idée est de rapprocher la science du politique”, précise Françoise Gaill. “Faire des synthèses scientifiques est extrêmement important, mais le passage à l’action reste déficitaire alors qu’il y a urgence”, explique cette chercheuse. En pratique, un État pourra faire appel au service d’Ipos et lui soumettre une question ou une requête. Alors, la communauté scientifique se penchera sur celle-ci et pourra lui fournir en quelques semaines ou mois, en fonction de la demande, un état des lieux des connaissances sur le sujet afin de le guider vers les meilleures actions à mener. Car “le but n’est pas de produire de la connaissance pour la connaissance, mais de la produire pour l’action”, détaille l’océanographe, insistant sur le fait qu’Ipos est “une plateforme de service”.
Un premier rapport déjà publié
Soutenue par la Commission européenne et par plusieurs institutions scientifiques, dont le CNRS, l’Ifremer, l’IRD et l’Institut de l’Océan, cette coalition a ainsi pu commencer à se mettre au travail. Ipos et ses scientifiques n’ont en effet pas attendu le lancement officiel de la plateforme. Le 31 mars dernier, un premier rapport d’une trentaine de pages a ainsi été présenté, portant sur l’exploitation minière en haute mer.
Cette “étude pilote” a été lancée à la demande du président français, Emmanuel Macron. Au total, cette consultation scientifique a réuni une quarantaine de chercheurs issus de 28 pays, couvrant à la fois le champ scientifique, mais aussi du droit, de l’économie ou encore des connaissances autochtones. Dans ses conclusions, Ipos appelle à un moratoire, d’au moins 10 à 15 ans sur l’exploitation des fonds marins, dans le cadre d’une approche de précaution, “en comparant les opportunités de l’exploitation minière des grands fonds avec les risques potentiels et les incertitudes qui l’entourent”.
D’autres projets sont également en cours, notamment avec le Costa Rica autour de la pêche artisanale et la préservation des aires marines protégées. Malgré le soutien financier de l’UE, d’Axa, de Kering ou encore du fonds de dotation Kresk for Oceans, Ipos a aujourd’hui besoin de 2,5 millions d’euros par an pour pérenniser son activité. Ainsi, l’objectif désormais affiché est de convaincre un maximum d’États de soutenir le projet, avec une montée en puissance de la plateforme d’ici les trois prochaines années.