Coup d’arrêt pour l’A69, cette portion d’autoroute vivement contestée qui doit permettre de relier Toulouse à Castres. Dans une décision très attendue, le tribunal administratif de Toulouse a décidé ce jeudi 27 février d’annuler l’arrêté préfectoral qui autorisait le chantier “en raison de ses bénéfices très limités pour le territoire et ses habitants”. Selon le tribunal, ceux-ci ne sont en effet pas suffisants pour “déroger aux règles de protection de l’environnement et des espèces protégées”. Une première pour une infrastructure routière de cette envergure en France.
Le tribunal a suivi l’avis de la rapporteure publique, qui avait par deux fois demandé “l’annulation totale” de l’arrêt préfectoral qui a permis d’entamer le chantier de l’A69 en 2023. A l’audience du 18 février, cette magistrate, Mona Rousseau, avait réaffirmé que les gains espérés de la future autoroute n’étaient pas suffisants pour établir une “raison impérative d’intérêt public majeur” justifiant les atteintes à l’environnement commises par le projet.
Une première
Le collectif d’opposants à l’A69 La Voie est libre (LVEL) a immédiatement salué “une décision historique qui porte un coup d’arrêt définitif à un projet inutile, destructeur et irresponsable, que nous dénonçons avec force depuis plusieurs années. C’est un grand jour pour le droit environnemental.” L’arrêt du tribunal “dénonce l’irresponsabilité de l’Etat et du concessionnaire pour avoir engagé les travaux sans attendre. Ce passage en force, dopé au déni institutionnel, vient d’être stoppé net”, s’est encore réjoui LVEL.
“C’est un jour historique : pour la première fois, la justice française interrompt un projet autoroutier pour des raisons environnementales”, a réagi sur X la cheffe des Ecologistes Marine Tondelier, espérant que cette décision “fera jurisprudence”. “Victoire historique : l’inutile et destructrice A69 est annulée”, se félicitent également les insoumis dans un communiqué, appelant le gouvernement – qui a déjà annoncé faire appel de la décision -, le département et la région, à “ne pas s’enliser dans de nouvelles procédures judiciaires”.
“Un verrou a sauté”
“Dans tout l’historique de la jurisprudence sur les autoroutes en France, aucun projet autoroutier n’a été annulé pour des raisons environnementales”, confirme à l’AFP Julien Bétaille, maître de conférences en droit de l’environnement à l’université Toulouse Capitole. Cette annulation visant la première fois une autoroute signifie qu'”un verrou a sauté dans la mentalité du juge administratif”, ajoute-t-il.
“Sous réserve du résultat de la procédure d’appel, ce jugement, très important et tout à fait remarquable, pourrait marquer un tournant dans la manière dont le juge administratif contrôle la légalité des grands projets d’infrastructure. Si ce jugement est confirmé en appel, ces grands projets d’infrastructures ne pourront certainement plus être conçus et menés comme par le passé”, réagit également Arnaud Gossement, avocat spécialisé en droit de l’environnement dans un billet de blog.
De fait, c’est la première fois en France qu’une infrastructure routière d’une telle importance est interrompue par un jugement, et non par une décision politique, comme l’abandon du projet d’A45 Lyon/Saint-Etienne en 2018. Le cas du contournement du village touristique de Beynac, en Dordogne, retoqué par la justice administrative, concerne un ouvrage de moindre envergure, avec un budget initial plus de dix fois inférieur aux 450 millions d’euros que doit coûter l’A69.
Situation “ubuesque”
Le tribunal a réfuté un à un les arguments mis en avant par les défenseurs de l’A69. Le gain de temps, estimé à une vingtaine de minutes ? Insuffisant. La baisse de l’accidentalité ? Pas prouvée. Et le désengorgement du trafic routier ? Limité. Sur la nécessité de “désenclaver” le bassin Castres-Mazamet, le tribunal observe, sur la base des données Insee, que le territoire ne présente ni un décrochage démographique ni un décrochage économique. Le tribunal pointe en outre le coût élevé du péage “de nature à en minorer significativement l’intérêt pour les usagers et les entreprises”. Pour ces différentes raisons, le tribunal annule les autorisations données au projet d’A69 qui ne présente pas “de nécessité impérieuse“.
Le ministre des Transports, Philippe Tabarot, a qualifié la situation d'”ubuesque”, avec “un chantier avancé aux deux tiers (…) arrêté du jour au lendemain”. “Cette décision est incompréhensible”, a également réagi le député du Tarn Jean Terlier, dans un communiqué. “Comment accepter que les juges n’aient pas pris en compte la situation du chantier avec près de 300 millions d’euros de travaux déjà engagés, 45% des terrassements réalisés, 70% des ouvrages d’art construits et plus de 1 000 salariés du concessionnaire qui se retrouveront demain sans emploi”. L’annulation de l’A69 a également provoqué la colère des laboratoires pharmaceutiques Pierre Fabre, qui soutiennent depuis longtemps le projet. Son patron, Pierre-Yves Revol principal employeur dans le sud du Tarn, menace ainsi de “privilégier des territoires d’accès plus rapides et mieux sécurisés”.
Derrière le projet d’A69, l’influence “déterminante” de l’entreprise castraise Pierre Fabre
Avant même la décision, sur le chantier côté castrais de l’autoroute de 53 kilomètres qui devait être achevée fin 2025, les moteurs étaient rangés à la mi-journée contrairement à l’habitude, avait constaté un journaliste de l’AFP, qui a vu une petite pelleteuse en train d’être hissée sur un camion, à quelques dizaines de mètres du site où des “écureuils” occupent encore un arbre marqué pour être abattu. Une scène qui contraste avec les cris de joie qui ont résonné dans un bar du centre-ville de Toulouse, transformé en QG des opposants réunis pour fêter leur victoire. “On l’a fait”, s’exclament-ils. Sous une banderole “Stop à l’A69 et son monde, une autre vie est possible”, les représentants des différents collectifs contre l’autoroute ont ensuite pris la parole, affirmant vouloir “tourner la page de ce fiasco”.