Publié le 8 avril 2025

Planter un milliard d’arbres en dix ans : l’objectif du gouvernement pour “sauver” nos forêts est critiqué depuis plusieurs années par les ONG environnementales. Cette fois, c’est le directeur par intérim du Secrétariat général à la planification écologique, placé sous l’autorité de Matignon, qui pointe les dérives de politiques publiques favorisant les plantations après coupes rases.

C’est un rapport choc et très instructif sur la gestion des forêts par le gouvernement. Il n’émane pas d’une ONG mais du directeur par intérim du très sérieux Secrétariat général à la planification écologique, Frédérik Jobert, un ancien du BCG, qui remplace Antoine Pellion mais qui s’apprête lui aussi à quitter la structure, en plein délitement. Dans cette note publiée par le think tank Terra Nova, mercredi 2 avril, en son nom propre, il dresse un constat sévère et pointe les dérives des politiques publiques en matière de forêt.

Il commence par l’objectif du président de la République de planter un milliard d’arbres en dix ans, déjà largement critiqué par les ONG environnementales. Pour planter vite et massivement, le gouvernement a mis en place un système de subventions à travers les plans France Relance et France 2030. Mais comme l’avait déjà révélé Canopée, dès 2022, celles-ci soutiennent un modèle de plantation après coupe rase. C’est aussi à ce constat qu’arrive Frédérik Jobert : “les fonds publics destinés au renouvellement forestier financent en quasi-totalité (95%) des plantations en plein, c’est-à-dire des plantations après une coupe”, constate-t-il.

“L’Etat subventionne la perte de biodiversité” 

Or, ces coupes ne sont pas toujours justifiées. S’il n’y a pas de débats pour les peuplements incendiés, ou ceux qui sont touchés par une maladie comme les scolytes typographes qui ravage les épicéas, “en revanche, d’autres solutions existent pour des peuplements moins dégradés, qu’ils soient “vulnérables” (c’est-à-dire sains, mais considérés comme condamnés à moyen ou long terme par la hausse des températures) ou qu’ils soient “pauvres” (c’est-à-dire sains et souvent riches en biodiversité, sans enjeu d’adaptation au changement climatique, mais jugés sans valeur économique future)”, note le spécialiste. Or ces deux derniers types de peuplement représentent respectivement 37% du programme France Relance et 19% du programme France 2030 : “en pratique l’Etat subventionne ici la perte de biodiversité”, conclut-il.

Frédérik Jobert fait d’ailleurs une parenthèse sur le climat parfois délétère qu’il a pu vivre sur ce sujet “explosif” : “dire ‘coupes rases’ en réunion interministérielle peut parfois suffire à vous faire accuser de dangereux activiste”. Pourtant, comme il le rappelle, si les coupes rases représentent 0,5% de la surface de la forêt française en métropole, elles correspondent aussi à 14% des parcelles qui font l’objet d’une coupe chaque année. Loin d’exiger leur interdiction, il propose de s’inspirer de l’exemple allemand qui subventionne les propriétaires forestiers qui s’engagent dans une sylviculture moins intensive.

“Subventionner les conversions de centrales à charbon au bois n’a pas d’intérêt”

L’expert s’attaque ensuite au sujet du bois-énergie. Alors que la forêt est en péril – baisse de la production biologique, hausse de la mortalité et des prélèvements – et qu’elle joue de moins en moins son rôle de puits de carbone, il appelle à s’interroger sur l’usage du bois comme source d’énergie et à limiter son usage à des besoins prioritaires. “Contrôler le développement du bois énergie, le limiter parfois, n’est pas une insulte à son statut d’énergie bas-carbone mais au contraire reconnaître toute la noblesse de son caractère renouvelable”, écrit-il.

Par exemple il est pertinent quand il est utilisé sur place, directement dans les usines de transformation, quand il permet de remplacer du fioul ou du gaz naturel par des chaudières et chaufferies biomasse là où il n’existe pas d’alternative, ou encore dans certaines régions isolées, qui font face à un climat hivernal rude et où la ressource en bois est abondante. En revanche, “subventionner à prix d’or la conversion de centrale charbon vers le bois (comme la centrale de Gardanne) pour produire de l’électricité dont on dispose déjà n’a aucun intérêt ni économique ni écologique”, assume-t-il sans ambages.

“Changer de paradigme”

Enfin, l’expert remet aussi en question la logique de subventions publiques automatiquement mise en place quand il s’agit de transition. Il cite ainsi l’exemple des peuplements de pins maritimes de Nouvelle-Aquitaine replantés exactement à l’identique grâce aux subventions de France Relance et de France 2030 : “ces replantations à vocation industrielle, aussi nécessaires soient elles au tissu local, n’auraient-elles pas pu trouver une autre source de financement ?”, interroge-t-il ?

Pire, les subventions publiques à des pratiques qui ne sont pas les plus vertueuses viennent influencer le diagnostic et le plan de gestion forestier, et enferment toute une filière dans un modèle économique non durable. En effet, les subventions d’Etat couvrant entre 50 et 80% du coût des travaux sur barème, encouragent à réaliser des travaux lourds et coûteux. Ce faisant, elles créent des effets d’aubaine, modifient l’intention des propriétaires, et enferment la sylviculture dans une dépendance à la subvention“, décrit-il.

Il appelle dès lors à avoir “le courage de changer de paradigme”, “d’arrêter ce qui ne marche pas”, “de renoncer à des modèles économiques condamnés”. Le sujet des forêts est désormais la prérogative du ministère de l’environnement : “peut-être faut-il y voir la première pierre d’un nouveau paradigme”, espère-t-il. Pour l’heure, Agnès Pannier-Runacher a mis en consultation le projet de plan d’action pour la préservation des sols forestiers, attendu depuis les Assises de la forêt en mars 2022 et annoncé le maintien en 2025 de l’ensemble des dispositifs prévus et ouverts en 2024 concernant la forêt. Sans remise en question.

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