Publié le 10 septembre 2024

Il est urgent que les entreprises prennent sérieusement en compte les enjeux de biodiversité. Dans une tribune pour Novethic, Véronique Dham, spécialiste Biodiversité et Entreprise et experte auprès de l’IPBES appelle les acteurs économiques à sortir des solutions simplistes et à s’engager sérieusement sur l’ensemble de leur chaîne de valeur.

Longtemps reléguée au second plan derrière le climat, la lutte contre l’érosion de la biodiversité a le vent en poupe chez les entreprises et les acteurs de la finance. Il ne se passe pas une semaine sans qu’il n’y ait un événement, un webinaire, une prise de parole, une coalition, une étude sur la thématique entreprise et biodiversité. Indéniablement, l’engouement est là, enfin !

Deux raisons majeures à cette mobilisation des entreprises : l’étau qui se resserre sur elles, avec d’un côté la nouvelle réglementation européenne en matière de reporting financier – Corporate Sustainability Reporting Directive (CSRD) – et de l’autre le monde de la finance. Côté CSRD, la norme ESRS 4 oblige a minima les entreprises à se pencher sur leurs interactions (impacts/dépendances) et leurs risques/opportunités en matière de biodiversité et pour certaines à mettre en place des plans d’action.

Côté banques et investisseurs, le message est clair : la biodiversité est classée comme un risque majeur pour des secteurs d’activités stratégiques (agro-alimentaire, fabrication de matériaux, énergie, transport/infrastructure, mode) qui, pour accéder aux capitaux, doivent mettre en place des stratégies de réduction de leurs pressions.

L’errance des entreprises en matière de biodiversité

On peut bien sûr se réjouir de cette montée en puissance de la biodiversité dans la sphère économico-financière. Mais avec discernement et lucidité. Car il est encore trop tôt pour dire que la biodiversité fait jeu égal avec le climat. Cette forte mobilisation, souvent incarnée par une poignée de grandes entreprises “exemplaires”, est un peu l’arbre qui cache la forêt. Dans les faits et sur le terrain, la réalité est toute autre et le sujet de la biodiversité est loin, très loin, d’être traité au même niveau que le climat.

Selon le Boston Consulting Group et Capgemini, seul un quart des entreprises a inscrit la préservation de la biodiversité dans sa matrice de matérialité et seulement 5% comme un enjeu important.  Le dernier bilan annuel du reporting ESG (Environnement, Société, Gouvernance) des 100 plus grandes entreprises françaises révèle que seules 14 ont publié des informations sur la biodiversité (13 concernent des actions sur leurs sites localisés dans ou à proximité de zones sensibles et une seule sur sa chaîne de valeur). Et selon une étude menée par Quantis auprès d’une trentaine des plus grandes entreprises, si 86% des sociétés interrogées déclarent ou prévoient d’avoir une stratégie biodiversité pour les deux années à venir, seulement 4% estiment être suffisamment informées sur les bonnes actions à mettre en place.

Constat édifiant mais tellement vrai. Le manque criant de connaissances sur ce sujet dans le monde de l’entreprise est un obstacle majeur à la compréhension des liens existants entre une activité économique et le vivant, à la responsabilité réelle de l’entreprise et aux risques qu’elle encourt. Ce qui conduit à ne pas se poser les bonnes questions et donc à proposer des mesures qui ne sont pas à la hauteur des enjeux de l’effondrement du vivant. Une politique de l’autruche en quelque sorte.

Illustration très symptomatique de cette errance des entreprises en matière de biodiversité, une majorité focalise encore aujourd’hui ses actions sur les sites de production : installation de nichoirs, mise en place de prairies fleuries, bannissement des produits phytosanitaires… Ces actions témoignent certes d’une volonté de bien faire et peuvent bien sûr être un bon coup de pouce pour la biodiversité. Mais cela reste dérisoire quand on sait que, comme pour le carbone, plus de 90% des pressions exercées par les entreprises sur la biodiversité proviennent de l’amont de la chaîne de valeur, à travers les approvisionnements. Très encadré par une réglementation nationale et européenne déjà très stricte, l’impact des sites de production est mineur face à la déforestation, à la destruction de zones humides pour cultiver, extraire, exploiter et fabriquer des matières premières.

Relever l’ambition

Tant que les entreprises ne prendront pas en compte le sujet de la biodiversité sur l’ensemble de leur chaîne de valeur, les ambitions de la feuille de route mondiale de la biodiversité fixée lors de la dernière COP15 n’ont aucune chance d’aboutir, à savoir diviser par deux les pressions sur la biodiversité d’ici 2025 et atteindre une empreinte neutre voire positive d’ici 2030. Ces objectifs exigent des mesures beaucoup plus ambitieuses et disruptives au niveau des entreprises : insuffler des bonnes pratiques au niveau de sa filière (ex : filières responsables pour certaines matières premières), développer l’économie circulaire et l’éco-conception, soutenir les fournisseurs dans la mise en œuvre de solutions favorables à la biodiversité (agroforesterie, agriculture régénérative, etc.), accepter de tourner le dos à certains produits, etc. A part quelques bons élèves dans le secteur agroalimentaire, du luxe, de la pharmacie, la marge de progrès est énorme.

Manque de connaissances, manque d’ambition, mauvaise gestion des priorités…Pour placer les enjeux de biodiversité au même niveau que ceux du climat au sein des entreprises, plusieurs dispositifs leur sont aujourd’hui proposés. Deux cadres, inspirés directement de ceux du climat, s’adressent surtout aux grandes entreprises : la TNFD (Task Force for Nature Disclosure) et les SBTN (Science Based Targets for Nature). Alignées sur les exigences de la CSRD, ces démarches s’appuient sur 5 grands principes :

  1. Réaliser une analyse de double-matérialité (pressions/dépendances de l’entreprise sur la biodiversité et risques/opportunités de l’érosion de la biodiversité sur l’activité de l’entreprise) sur l’ensemble de la chaîne de valeur,
  2. Identifier les étapes de la chaîne de valeur, les matières premières les plus contributives aux pressions de l’entreprise,
  3. Définir une trajectoire biodiversité avec des objectifs alignés avec le cadre mondial de la biodiversité et les limites planétaires,
  4. Construire une feuille de route biodiversité “d’évitement/réduction des pressions et de restauration”,
  5. S’appuyer sur des indicateurs robustes pour mesurer l’efficacité des actions.

Agir sur ses principales pressions

En 2025, le Diag’Biodiversité élaboré par BPI France proposera quant à lui aux PME et TPE un accompagnement pour diagnostiquer leur niveau de dépendance aux services écosystémiques et les impacts de leur activité sur la biodiversité afin de construire un plan d’action pour limiter les pressions et restaurer la biodiversité.

Quelle que soit la démarche adoptée, le diagnostic des impacts/dépendances ou d’évaluation de l’empreinte biodiversité est l’étape la plus importante qu’il ne faut en aucun cas négliger. Quels que soient la méthode et les outils utilisés (évaluation quantitative ou qualitative), un inventaire complet et précis des interactions avec la biodiversité est indispensable pour agir en priorité sur ses principales pressions, sur les étapes les plus contributives de sa chaîne de valeur, sur les approvisionnements les plus critiques, etc.

C’est aussi le meilleur rempart contre des solutions contre-intuitives comme soutenir des programmes de plantation d’arbres tout en contribuant à la déforestation de forêts primaires au Brésil via l’utilisation d’huile de palme ou du soja.

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