Publié le 30 avril 2024

En Chine, la production de voitures thermiques est en chute libre depuis quelques années. Ces “usines zombies”, qui ferment ou tournent au ralenti, se multiplient. Avec un risque croissant de devenir des actifs échoués.

Des “usines zombies” : voilà ce que sont en train de devenir des dizaines de sites de production de voitures thermiques en Chine, où la transition vers le véhicule électrique provoque des changements industriels plus rapides que jamais. Ces usines, qui fonctionnaient encore à plein régime il y a quelques années, voire à peine quelques mois, voient leurs lignes de production décliner, encore actives, mais déjà presque closes.

Dernier exemple en date, Hyundai qui a dû céder l’une de ses usines, achetée près d’un milliard de dollars à Chongqing, dans le centre du pays, et vendue en décembre pour à peine un quart de son prix d’achat, selon le Financial Times. En décembre dernier, c’est Toyota qui mettait aussi en pause son usine de Tianjin, face, selon le service de presse japonais Jiji, à la faible demande de véhicules thermiques sur le marché chinois. Trois usines de Ford, toujours dans la municipalité de Chongqing, fonctionnent aussi au ralenti depuis plusieurs mois. Et en juin dernier, Volkswagen annonçait de son côté convertir une de ses usines historiques de production de véhicules thermiques pour la fabrication de véhicules électriques (VE).

Surcapacités et usines zombies dans l’automobile thermique

En cinq ans à peine, la production de véhicules thermiques en Chine a ainsi chuté de plus de 30%. En 2017, 30 millions de véhicules thermiques étaient produits dans l’Empire du Milieu, ce qui représentait 95% du marché. En 2023, 20 millions seulement sont sortis des usines, et les parts de marché du thermique ont dégringolé, pour atteindre environ 65%. Ces derniers mois, on a même produit moins de véhicules thermiques que de véhicules électriques dans les principales zones de production automobile chinoises. Concrètement, la Chine est aujourd’hui en situation de surcapacité pour la production de véhicules thermiques, et les usines développées massivement dans les années 2010 sont déjà en passe de devenir des actifs échoués. “C’est un problème dont sont bien conscientes les autorités chinoises”, analyse pour Novethic Joël Ruet, économiste spécialiste de la Chine et conseiller à la chaire Technology for change de Polytechnique. A l’issue de la Conférence Centrale de l’Economie et du Travail en décembre dernier, les officiels du régime chinois admettaient officiellement le risque.

Deux raisons principales expliquent cette situation de surcapacité. D’abord, un marché intérieur qui ne se développe pas aussi vite que les capacités industrielles. Mais c’est aussi le switch très rapide vers la mobilité électrique en Chine qui bouscule le secteur du thermique. Pour Joël Ruet, il s’agit là “d’une volonté affichée des pouvoirs publics”. Selon l’économiste, “la Chine ambitionne d’être leader mondial dans des secteurs clés, dont l’automobile, et cela passe notamment par un pilotage industriel assez fin, avec des subventions, le fléchage des marchés publics pour tirer les entreprises vers le haut, des normes de plus en plus précises pour amener les industriels à un niveau de pointe”. Des investissements massifs ont été faits ces dernières années dans les infrastructures de production de voitures électriques. Trois producteurs de VE défunts ont même été “ressuscités” ces derniers mois, sous l’impulsion du président chinois Xi Jinping qui a annoncé vouloir développer de “nouvelles forces productives” dans ce secteur. Huit millions de véhicules électriques ont été produits en Chine en 2023, soit 20 fois plus qu’en 2016. De plus en plus, ce sont des constructeurs nationaux comme Byd ou Geely, qui prennent les parts de marché, et de nouvelles usines continuent d’apparaître.

Une stratégie industrielle de la “fuite en avant”

Des usines qui meurent, d’autres qui naissent ou renaissent, cela fait partie de la stratégie industrielle de Pékin, que Joël Ruet qualifie de “fuite en avant”. “La Chine n’a aucun problème à laisser mourir des acteurs industriels qui n’innovent pas assez ou ne répondent plus aux besoins, explique-t-il. Lorsqu’il y a des surcapacités, des actifs échoués qui risquent de plomber le bilan, il suffit à Pékin d’augmenter le bilan en investissant dans de nouveaux actifs”. D’où le développement massif du tissu industriel, qui se poursuit en Chine, notamment dans les provinces intérieures. Aujourd’hui l’électrique, demain la voiture autonome, ou à hydrogène… ou d’autres secteurs industriels dynamiques à même de soutenir la croissance du géant chinois.

Faut-il voir dans la spectaculaire décroissance actuelle du secteur le signe de la fin du véhicule thermique en Chine ? Pas nécessairement. Pour Joël Ruet, “le gouvernement continuera à soutenir les acteurs industriels qui innovent et ont de bonnes performances,  notamment grâce à ses politiques d’appels d’offres.” Parmi les constructeurs européens, Volkswagen entend bien tirer son épingle du jeu en continuant à miser sur la voiture thermique. Dans un communiqué récent, l’entreprise dit chercher à “utiliser sa flotte de véhicules thermiques à forte marge, progressivement hybridée, pour financer les investissements dans le prochain saut technologique vers des véhicules intelligents et connectés.” 

Mais pour l’heure, la guerre des prix qui fait rage en Chine sur le marché du véhicule électrique ne semble pas prête de s’arrêter. Et avec l’afflux de véhicules électriques à bas coût, au point que désormais, les ports européens saturent de voitures électriques chinoises importées, la mobilité électrique est plus que jamais compétitive.

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