Publié le 15 mars 2025

Refuser une date pour raisons écologiques, voyager en train plutôt qu’en avion, sensibiliser le public aux enjeux environnementaux… De plus en plus de groupes et de musiciens tentent de concilier concerts et protection de la planète. Mais pour aboutir à une véritable transformation du secteur, le chemin est encore long.

Dans moins d’un mois, célébrités, influenceurs et festivaliers seront une fois encore réunis sous le soleil californien pour l’édition 2025 du Coachella Valley Music and Arts Festival. Mais si plus de 150 artistes participeront cette année à l’événement, un groupe mondialement connu ne sera lui pas de la partie. Dans une interview au média culturel NME, Robert Del Naja, l’un des fondateurs de Massive Attack, a indiqué avoir refusé de se produire lors du festival qui se déroule près d’Indio, une ville située à quelques heures de route de Los Angeles.

“C’est un complexe de golf construit dans le désert, avec un système d’arrosage qui utilise l’eau du réseau public. C’est de la folie. Si vous voulez voir quelque chose qui reflète le comportement humain le plus absurde, vous le trouverez juste là, estime le musicien. Nous y sommes allés une fois, et une fois a suffi”. Historiquement engagé en faveur de la protection de la planète, Massive Attack assume ici un choix que de plus en plus d’artistes envisagent face à l’impact environnemental de ce type de manifestations. Ces dernières années, les exemples se multiplient.

“Portée médiatique”

En 2019, Coldplay a mis fin à ses concerts pour raison écologique, avant de reprendre la route avec l’objectif de réduire de 50% ses émissions directes de gaz à effet de serre. Pour sa tournée “Hit Me Hard and Soft”, Billie Eilish s’est associée à Google Maps afin d’encourager les spectateurs à utiliser des moyens de transports durables. Certains artistes tentent également tant bien que mal de se passer de l’avion pour assurer leurs dates. Parmi les noms qui résonnent régulièrement, on retrouve le musicien électronique français Fakear ou encore la DJ belge Gigsta.

“Je ne prends plus que le bus ou le train, explique cette dernière à Libération. Ça demande forcément des sacrifices, et puis il faut évidemment composer avec les retards, galères, annulations… Un trajet peut durer vingt-quatre heures. Mais à mes yeux, ça vaut le coup”. D’autres vont encore un cran plus loin, comme Shaka Ponk. Le samedi 30 novembre 2024, le groupe a joué pour la dernière fois devant un public. Le motif de sa séparation, après vingt ans de carrière et huit albums : mettre fin à l’incohérence entre ses convictions écologiques et le poids environnemental des concerts.

“On a pris conscience qu’on était devenu une partie du problème et qu’il fallait rendre notre groupe plus écoresponsable. On a choisi d’arrêter par cohérence existentielle. On ne peut pas délivrer de beaux messages et cultiver une activité professionnelle qui soit aussi polluante”, justifie Frah, le chanteur de Shaka Ponk au micro de France Inter. Mais de telles prises de position peuvent-elles insuffler un véritable changement ? “Cela donne une portée médiatique, les grands groupes ont une forme de pouvoir dans l’opinion qui est très importante. Ce n’est pas négligeable”, souligne Julie Hairy, fondatrice des Délié.e.s, cabinet d’accompagnement des acteurs culturels dans la transition, interrogée par Novethic.

“Cela demande un changement systémique”

“Il y a une prise de conscience depuis plusieurs années dans les musiques actuelles, parce que c’est le secteur qui rencontre les plus gros problèmes. C’est le plus consommateur de carbone, en raison du déplacement des publics et des artistes”, ajoute la spécialiste. Les deux tiers des émissions de gaz à effet de serre du spectacle vivant proviennent en effet du transport des spectateurs, selon le Syndicat des entreprises artistiques et culturelles. Mais la volonté d’arrêter toute activité pour ne plus polluer soulève tout de même des doutes parmi les experts de la transition de la culture.

“On ne veut pas qu’il y ait moins d’artistes qui se produisent parce que ce n’est pas durable pour la planète, on veut qu’ils le fassent autrement”, insiste Laurence Ghestem, consultante en transition écologique et directrice de Culture Demain. Pour arriver à cet objectif, les artistes ne peuvent cependant pas agir seuls. Tout le secteur musical doit se mobiliser afin de faire évoluer en profondeur les modalités de production et de diffusion. “La question de la mobilité du public pourra en partie se résoudre quand la motivation du secteur sera de travailler en coopération pour réaliser un objectif commun. Par exemple, cela pourrait être de faire sauter la clause d’exclusivité”, pointe Laurence Ghestem.

Cet accord engage les artistes à ne participer à aucun autre événement sur un territoire et une durée donnée, contraignant les spectateurs à se déplacer de plus en plus loin pour assister aux concerts. Le show donné à Singapour par Taylor Swift en 2024 en est la parfaite illustration. Afin de s’assurer les retombées économiques engendrées par le passage de la super star, le gouvernement singapourien a négocié un contrat d’exclusivité exceptionnel empêchant Taylor Swift de se produire dans toute autre ville de l’Asie du Sud-Est. “Sans législation, on continuera à être dans ce monde-là. Cela demande un changement systémique”, pointe Gwendolenn Sharp, fondatrice de l’association The Green Room.

Un changement qui devra passer par un soutien financier des artistes. “Très souvent, c’est le live qui rapporte de l’argent car les artistes ne sont pas assez rémunérés par les plateformes, note l’experte qui travaille depuis presque dix ans sur la question. A partir du moment où on assure le minimum pour qu’un artiste puisse vivre de son art, il n’y a plus d’injonction à aller jouer toutes les dates. Les financements publics rendent aussi possibles la recherche et la prise de risque”. Un retour au temps long qui pourrait permettre au secteur musical d’entamer une véritable transition.

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