Publié le 02 septembre 2023
ENVIRONNEMENT
Impact environnemental : la méga-tournée de Taylor Swift, symbole du "monde d’avant"
Une centaine de dates, des millions de spectateurs voyageant à travers le monde et une influence économique inédite : la tournée internationale de Taylor Swift pourrait battre tous les records, y compris d’impact carbone. Alors que certains artistes tentent de prendre en compte les enjeux environnementaux dans leur tournée, le secteur tarde à interroger son modèle pour entamer une véritable transition.

MICHAEL TRAN / AFP
Elle prévoit d’exploser tous les scores. De la mise en vente des billets, aux premiers concerts aux États-Unis, la tournée internationale de Taylor Swift affole réseaux sociaux et fans du monde entier depuis son lancement au printemps dernier. Avec 131 dates programmées, l’artiste américaine pourrait devenir la première à dépasser le milliard de dollars de recettes sur une tournée. Un véritable événement culturel, mais aussi économique. Malgré des tarifs allant jusqu’à plusieurs centaines d’euros par place, les billetteries sont prises d’assaut lors de chaque vente. Plus de deux millions de tickets ont été écoulés en une seule journée rien qu’aux États-Unis.
Et les spectateurs sont prêts à tout pour avoir l’occasion d’assister au spectacle, y compris à faire des milliers de kilomètres si par malheur ils n’arrivaient pas à acheter un billet près de chez eux. La compagnie aérienne Air New Zealand affirme ainsi avoir dû ajouter 14 vols supplémentaires en février 2024 afin de permettre aux fans néo-zélandais de se rendre en Australie pour voir l’artiste. Le phénomène est tel que l’interprète provoque un boom de l’économie locale partout où elle passe, remplissant les hôtels et les restaurants à des niveaux records depuis la pandémie.
"Evénementialisation de la culture"
Erigé au rang de méga-tournée, l’événement pose cependant question quant à son impact environnemental. Selon un document rédigé par le Syndicat des entreprises artistiques et culturelle en 2022, le déplacement du public représente en effet la part la plus importante de l’empreinte carbone du spectacle vivant, à raison de 66% des émissions de gaz à effet de serre. "L’attractivité des projets (…) a conduit à une événementialisation de la culture avec, au bout du compte, une croissance permanente des jauges", explique par ailleurs le Shift project dans un rapport publié en 2021. Résultat, "plus un événement culturel attire de visiteurs, plus son audience est internationale (…) et plus le bilan carbone s’alourdit", ajoutent les auteurs.
Face à ce constat, certains artistes tentent d’entamer une transition vers un modèle moins carboné, non sans mal. On peut notamment mentionner l’exemple du groupe britannique Coldplay qui, après avoir annulé sa tournée en 2019 pour raisons écologiques, s’est donné pour objectif de réduire de 50% ses émissions directes de gaz à effet de serre. Programmation réduite, utilisation de carburants de transition et de panneaux photovoltaïques, plancher cinétique pour les spectateurs… Si l’intention est louable, certaines mesures s’avèrent cependant "cosmétiques" selon David Irle, éco-conseiller auprès du secteur culturel.
Refus d’interroger le modèle
"Ils n’ont eu aucune démarche de sobriété et n’ont pas voulu interroger la philosophie du projet, explique l’expert à Novethic. Ils veulent changer des choses à l’intérieur d’un modèle qui ne peut pas devenir soutenable, et c’est là où se situe le greenwashing." Car c’est bien le modèle même de ces tournées colossales toujours plus longues et spectaculaires qu’il est nécessaire d’interroger. Si réduire les émissions carbone liées au déplacement du public est aujourd’hui "à la limite de l’impossible, faute de technologies adéquates", estime David Irle, certains leviers restent activables.
L’éco-conseiller propose ainsi d’éviter de créer de la rareté en programmant davantage de dates, de réduire la taille et l’ambition des projets et de communiquer auprès du public au travers de stratégies de démarketing. "Il faudrait arriver à engager une discussion avec les spectateurs en les renvoyant à leur responsabilité : est ce qu’ils veulent danser jusqu’à la fin du monde ou est-ce qu’ils veulent prendre ce sujet à bras le corps ?", questionne l’expert.
Ces mesures, encore très rares, commencent néanmoins à faire leur chemin au sein du secteur culturel. En témoigne la création du collectif "Music declares emergency" rejoint par près de 6 900 signataires pour "soutenir la transformation culturelle nécessaire à un avenir durable", ou encore la récente décision du groupe français Shaka Ponk de cesser leurs activités pour motif environnemental. Mais pour véritablement changer d’échelle et embarquer l’ensemble de la filière sur une trajectoire plus soutenable, il reste avant tout à créer un "nouvel imaginaire du succès" fait valoir David Irle.