Des compétences manquent pour relever les défis de la transition écologique. Chez les ingénieurs, le constat est implacable. Plus de la moitié des compétences doivent être renforcées sous l’angle écologique dans les métiers de l’ingénierie et de la recherche & développement, affirme une étude publiée en 2022 par l’OPCO 2I, l’organisme chargé d’accompagner la formation professionnelle dans l’industrie.
L’étude cite le besoin de renforcer les compétences en écoconception ou encore en gestion des risques. Elle précise aussi qu’une “vision systémique des enjeux” et “la capacité à nouer des partenariats” deviennent nécessaires. Des constats partagés par une étude de l’OPIEEC, l’observatoire des métiers du numérique, de l’ingénierie, du conseil et de l’évènement. Celui-ci prévoit en plus une demande “massive” pour l’adaptation au changement climatique, ainsi que le développement de nouvelles spécialités comme l’hydrogène.
De nouvelles certifications en vue
Face à ce constat, la formation continue, à destination des ingénieurs déjà en activité, est poussée à se transformer. Le Syntec-Ingénierie, la fédération des bureaux d’étude et des cabinets de conseil en ingénierie, a signé en 2023 un accord-cadre avec l’Etat intitulé “Climat et Métiers de l’Ingénierie”. De nouveaux référentiels de compétences sur des sujets aussi variés que “la construction bas carbone”, “la mobilité” ou encore “la résilience des territoires” sont en préparation, précise auprès de Novethic Thomas Clochon, délégué général adjoint de Syntec-Ingénierie. Cela devrait donner lieu à de nouvelles certifications proposées aux salariés ainsi que des systèmes de tutorat et d’apprentissage par mise en situation.
Le Syntec-Ingénierie, qui représente plus de 80 000 entreprises françaises, veut montrer ses engagements pour transformer la profession. Il a créé une charte de l’ingénierie pour le climat dans laquelle la formation tient une place importante. Parmi les indicateurs d’engagement, précisés en 2023, se trouve “le budget de formation ou de sensibilisation Climat de l’entreprise”. Des référents climat parmi les entreprises signataires se réunissent tous les deux mois pour échanger sur leurs avancées. Cette charte n’est signée pour le moment que par 68 entreprises. Le Syntec-Ingénierie affirme toutefois que de grandes entreprises y sont, représentant au total “70 000 salariés”.
“Embarquer la profession”
La fédération prépare aussi un livre blanc sur l’écoconception afin “d’embarquer la profession et partager des bonnes pratiques”, explique à Novethic Michel Kahan, le présidentdu Syntec-Ingénierie. Pour cause, “les projets que nous concevons émettent 100 à 1 000 fois plus de CO2 que nos propres activités internes, qui sont essentiellement des activités de service, dans des bureaux”, insiste-t-il. Si le Syntec-Ingénierie ne représente pas tous les ingénieurs français, il est poussé à s’exprimer globalement sur la profession car il regroupe les préoccupations de tous les secteurs. Dans sa nouvelle feuille de route “Un autre monde est atteignable”, le Syntec-Ingénierie affirme vouloir des futurs “durables, décarbonés, sobres en ressources, optimisés en énergies”.
Les jeunes ingénieurs aussi en manque de compétences
Même les ingénieurs récemment formés doivent rattraper des compétences selon l’association Pour un réveil écologique qui a œuvré pour faire évoluer les formations initiales. “Certaines écoles comme l’INSA Lyon ont mis en place quelques évolutions mais cela reste très minoritaire, explique auprès de Novethic Lou Méchin, ingénieure polytechnicienne membre de l’association. Le métier n’a pas assez questionné la portée de ses innovations et leur utilité”. Certaines spécialités, plus éloignées des enjeux écologiques, sont particulièrement concernées. “Les spécialisations sur le numérique sont très en retard alors que c’est l’un des enjeux les plus importants de ce siècle”, ajoute Damien Amichaud, qui a travaillé sur le rapport “Former les ingénieurs du XXIème siècle” du Shift Project. Selon Pour un réveil écologique, les transformations à réaliser sont profondes, les ingénieurs ne doivent pas se limiter aux enjeux techniques. Son guide “Pour l’emploi de demain” publié en septembre 2023 cite par exemple l’enjeu de “promouvoir des politiques de sobriété” dans les projets de rénovation énergétique.
“Nous souhaitons questionner les donneurs d’ordre”
Le rôle des ingénieurs s’élargit. Le président du Syntec-Ingénierie le reconnaît : “nous souhaitons questionner les donneurs d’ordre sur l’utilité de construire, préconiser la rénovation plutôt que le neuf, plus nous agissons au début de la chaîne de décision, plus le levier de réduction des émissions de CO2 est important”. Face à des enjeux économiques, sociaux et politiques, l’ingénierie doit s’armer d’une compréhension plus globale des impacts. Reste à voir à quel point les nouvelles formations prendront en compte ces éléments et quelle sera l’ambition des entreprises sur le sujet de la formation continue.