Publié le 9 avril 2024

Accusé d’être pro-israélien, McDonald’s fait l’objet d’une campagne de boycott dans plusieurs pays, plombant considérablement ses ventes. Pour redresser la barre, le groupe a repris la main sur les 225 restaurants franchisés d’Israël. Certains experts y voient l’avènement d’une responsabilité géopolitique des entreprises, au-delà de la RSE.

McDonald’s enlisé dans le conflit israélo-palestinien, compte bien sortir du bourbier. Le groupe a annoncé jeudi 4 avril racheter les 225 restaurants franchisés en Israël. Depuis 30 ans, ces fast-foods étaient détenus par Alonyal Limited. Mais depuis quelques mois, la croissance des ventes est en chute libre, particulièrement au Proche-Orient mais aussi en Malaisie ou en Indonésie. En cause : un message de McDonald’s Israël annonçant avoir offert des repas gratuits “aux forces de sécurité, aux habitants des environs et aux hôpitaux” après l’attaque du 7 octobre. Dans un contexte particulièrement tendu, ce message avait suscité de nombreuses réactions sur les réseaux sociaux, accusant McDonald’s d’être pro-israélien.

Plusieurs autres franchises dont McDonald’s Oman, ont décidé de prendre leur distance. “Ce que le titulaire de la licence en Israël a fait était un acte individuel et privé”, tweetait-il sur X.

La branche française a elle aussi communiqué rappelant que l’entreprise “ne finance ni ne soutient aucun gouvernement impliqué dans ce conflit”. Trop tard. La supposée neutralité de McDonald’s a sauté et le PDG du groupe Chris Kempczinski tente de limiter la casse. Car les résultats ne sont pas bons. Il pointe ainsi “un impact commercial significatif en raison de la guerre (entre Israël et le Hamas, NDR) et de la désinformation qui affecte des marques comme McDonald’s”.

“L’entreprise est un acteur politique”

Si McDonald’s a fait l’erreur de ne pas “donner de positionnement clair à ses franchisés, laissant la possibilité à chacun de faire ce qu’il voulait”, nous glisse un proche du dossier préférant rester anonyme, “l’affaire McDo” est un signe que “l’entreprise est un acteur politique. Elle ne va pas, et ce n’est pas souhaitable, remplacer les Etats mais il faut être lucides : les citoyens / salariés / consommateurs attendent des entreprises qu’elles agissent”, décrypte pour Novethic la présidente exécutive de Havas Paris, Mayada Boulos. Comme en Ukraine et en Russie, les entreprises sont sommées de prendre position. Partir ou rester dans un pays en conflit, c’est le dilemme auquel elles sont confrontées. Et rester suppose de faire l’objet d’appel au boycott comme pour Auchan en Russie.

A ce sujet, un nouveau concept semble émerger, celui de la responsabilité géopolitique des entreprises, qui vient en extension de la responsabilité sociétale des entreprises (RSE). Dans un numéro de la Revue internationale et stratégique les chercheurs Bastien Nivet et Nathalie Belhoste écrivent : ” “Trop souvent (…), les attitudes des entreprises par rapport aux conflits sont uniquement réactives et ne constituent en aucun cas une stratégie.” Et de poursuivre : “Parler de responsabilité géopolitique des entreprises, c’est bien tendre, tout autant que la RSE, vers une réelle stratégie, guidée par des principes d’anticipation”.

“Il faudrait un chief geopolitical officer”

Si ce concept est encore flou, comme le reconnait l’historien et consultant en risques internationaux Stéphane Audrand, il révèle que, face à des injonctions contradictoires, les entreprises ont “une culture géopolitique à acquérir”. “Si demain il y a une crise à Taïwan, les entreprises devront se positionner pour ou contre la Chine avec des enjeux énormes ! A l’inverse, elles pourraient être soumises à des sanctions nord-américaines. C’est complexe”, reconnaît-il.

Les entreprises d’extraction comme les pétroliers et les sociétés minières ont très vite intégré ces questions. Mais ce n’est pas le cas de la majorité des secteurs. “Il faudrait un “chief geopolitical officer” et / ou un département de relations internationales dans les grands groupes”, recommande Stéphane Audrand qui voit dans la guerre en Ukraine un “moment assez fondateur” de ce changement. “Les guerres modernes se font dans la mondialisation. On n’est pas dans une zone économique cloisonnée. Les entreprises ne peuvent pas faire abstraction du contexte et doivent assumer de l’évoquer”, avance-t-il.

Reste que si les entreprises sont de plus en plus mises sous pression par les citoyens, l’usage du boycott n’est pas nouveau, ni la nécessité de choisir un camp. “C’est une question qui se pose depuis longtemps. Mais le curseur a changé”, décrypte Mayada Boulos. “Je suis persuadée que la politique étrangère va venir s’ajouter à la RSE. Les entreprises doivent l’anticiper”.

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