“Bon débarras” : La fin de l’ère Naouri, patron emblématique de Casino, se fait dans la douleur

“Avec chacun d’entre vous, je suis fier d’avoir pu écrire cette histoire qui ne ressemble à aucune autre”. Dans une lettre datée du mardi 26 mars, le célèbre PDG de Casino, Jean-Charles Naouri, fait ses adieux aux salariés. Si l’homme d’affaires reconnaît que le “contexte actuel est difficile”, les destinataires n’ont pas obtenu le mea culpa tant attendu. “Bon débarras”, réagit même au téléphone Jean Pastor, délégué CGT Casino et porte-parole de l’intersyndicale. “C’est lui qui est responsable de la situation, et ce sont les salariés qui trinquent“, dénonce-t-il.

Mercredi 27 mars, Casino est officiellement passé sous le giron du milliardaire tchèque Daniel Kretinsky à la suite d’une restructuration financière d’ampleur. Jean-Charles Naouri, qui a racheté le groupe en 1993, vient ainsi de perdre son titre de PDG. Sa participation, elle, passe de 51% à moins de 1%. L’ère Naouri est terminée. Et l’ancien banquier d’affaires laisse derrière lui une ardoise exceptionnelle.

“Voilà ce qu’il se passe quand le monde de la finance vient faire du commerce”

“L’héritage de Naouri, c’est d’abord une dette impressionnante et ensuite la dégradation massive des résultats qui ont contraint le groupe à se séparer des hypermarchés et supermarchés”, explique à Novethic Olivier Mevel, expert de la grande distribution. Les effectifs du groupe, après la cession de ces nombreux magasins, passent de 50 000 fin 2022 à 28 000. Au total, une fois les cessions déjà actées entièrement finalisées, le nouveau groupe pèsera environ 9 milliards d’euros de chiffre d’affaires – c’est dix fois moins que Carrefour -, dont la moitié via l’enseigne Monoprix.

Parallèlement, la dette du distributeur doit être ramenée de 7,4 milliards d’euros à fin 2023 à un peu plus de 2,6 milliards d’euros, avec des échéances de remboursement allant de janvier 2027 à fin mars 2028. Le nouveau directeur général du groupe, Philippe Palazzi, ancien de Métro et de Lactalis, ne s’est pas montré rassurant. Casino n’est “pas encore hors de danger”, il y aura “sans doute un plan de départs volontaires”, affirme-t-il.

Les syndicats évoquent le risque de 6 000 suppressions de postes dans le pire scénario. Jean Pastor compte lui entre 2 000 et 3 000 suppressions dont 1 400 au siège social de Saint-Etienne et 1 000 dans les entrepôts. “Ce qui aurait été utile, c’est que l’Etat puisse accompagner le groupe Casino”, regrette-t-il. “Voilà ce qu’il se passe quand le monde de la finance vient faire du commerce”.

“Une pratique solitaire du pouvoir”

Jean-Charles Naouri a construit un véritable château de cartes en multipliant des holdings financées par la dette. Une dette qui a mené à la chute de Casino. Karine Sanouillet, experte RSE et grande distribution, ancienne du groupe, se rappelle : “la dette ne permettait pas d’investir pour moderniser les magasins. On avait un gros retard par rapport aux concurrents. Comme il n’y avait pas d’investissements, Casino perdait des clients et pour compenser, les prix augmentaient ce qui entrainait une nouvelle perte. C’est un cercle vicieux”, décrypte-t-elle.

Et derrière cette stratégie, c’est la personnalité de Naouri qui est pointée du doigt. “Personne ne s’opposait à lui, c’était difficile”, glisse un ancien haut cadre du groupe préférant rester anonyme. “Jean-Charles Naouri n’a jamais voulu partager le pouvoir, écouter les conseils, il a exercé une pratique solitaire du pouvoir dans sa tour d’ivoire”, analyse Olivier Mevel.

Reste à savoir si Philippe Palazzi arrivera à redresser la barre dans un environnement difficile, avec un Lerclerc surpuissant. Les marchés en tout cas ne semblent pas optimistes. Le cours de l’action du groupe a plongé de 60% ce 28 mars, signe d’une défiance importante.