L’évènement est assez rare pour être souligné. Ce mercredi 14 février, les salariés d’Ubisoft sont appelés à débrayer dans l’ensemble des studios français du célèbre éditeur de jeux vidéo. Des piquets de grève sont notamment organisés à Annecy, Montpellier et Paris pour réclamer une revalorisation des rémunérations. Au travers de cette mobilisation, le syndicat des travailleurs et travailleuses du jeu vidéo (STJV), Solidaires Informatique et la CFE-CGC Fieci dénoncent l’absence d’un “compromis acceptable” lors des négociations annuelles obligatoires portant sur les salaires.
“Au prétexte d’une politique insensée de réduction des coûts, la direction a proposé entre 2 et 3% d’augmentation”, une offre “inférieure à l’inflation et à la rentabilité du groupe”, soulignent dans un communiqué les organisations syndicales, qui demandent quant à elle une augmentation de 5%. Tirée par le lancement des jeux Assassin’s Creed Mirage ou Avatar : Frontiers of Pandora, l’éditeur se félicite en effet d’avoir enregistré une hausse de son chiffre d’affaires de 14,3% sur le premier semestre 2023-2024. Si l’entreprise a récemment redressé la barre, elle affirme pour autant vouloir continuer à “réduire sa structure de coûts”. Une stratégie qui avait déjà provoqué la colère des salariés lors de son annonce début 2023, alors qu’Ubisoft enregistrait un recul de ses revenus.
Ubisoft devant la justice en 2025
Le 27 janvier 2023, les travailleurs étaient ainsi appelés à faire grève pour la toute première fois, afin de protester contre les “fermetures discrètes de studio” ou les “licenciements déguisés”, mais aussi pour dénoncer les “politiques managériales abusives” ayant cours au sein des studios. Suite à cette mobilisation, “la direction n’a jamais réagi si ce n’est par l’embauche d’un interlocuteur dédié au dialogue social” explique à Novethic Marc Rutschle, délégué syndicale chez Ubisoft Paris. “Le problème c’est qu’il a les mains liées et ne dispose pas des moyens suffisants. C’est pour cela que les négociations ont échoué cette année.”
À cette crise sociale vient s’ajouter des accusations de harcèlement sexuel et moral visant trois anciens responsables de l’entreprise : Serge Hascoët, directeur créatif, Tommy François, vice-président du service éditorial et Guillaume Patrux, lead game designer. Révélés par Libération en 2020 et au terme de plusieurs mois d’enquête, les faits seront finalement portés devant la justice en mars 2025 par le tribunal de Bobigny. Le dossier “de plus de mille pages”, consulté par Le Monde, mentionne une “quarantaine d’agressions sexuelles (…) sur une dizaine d’années”. Solidaires Informatique nous informe par ailleurs se porter partie civile “avec la volonté de prouver la responsabilité d’Ubisoft dans la gestion du harcèlement et des RH qui ont été complices”.
“Un système qui arrive à bout”
Mais si tous les regards sont tournés vers le géant du jeu vidéo, d’autres acteurs sont eux-aussi sous le feu des critiques. Et pour cause, “ce sont des problèmes systémiques”, analyse Marc Rutschle. C’est le cas notamment du studio indépendant Don’t Nod, pourtant fier d’exposer sur son site internet une ligne éditoriale progressiste, basée sur “l’empathie”, “l’inclusion” et “la diversité”. “Ce sont des valeurs qu’ils affichent dans la production de leurs jeux, mais en pratique, ça n’a aucune incidence sur les conditions de travail de leurs équipes”, affirme Antoine du syndicat STJV, qui pointe un manque de formation du management couplé à des problèmes d’organisation. Informations contradictoires, suppression brutale de lignes de production, sous-effectifs, dialogue inexistant avec les syndicats… Dans un communiqué publié le 7 février dernier, le STJV dénonce un “chaos ambiant”, mettant en danger “la santé des travailleurs”.
Face à ces dérives, les salariés du secteur font de plus en plus entendre leur voix. “Ubisoft et Don’t Nod sont deux studios où les mouvements sociaux sont rendus publics, mais ce ne sont pas les seuls où il se passe des choses”, confie Antoine. Le membre du STJV constate un mouvement plus général de l’industrie pour faire respecter la loi et le dialogue social auprès des directions. “C’est un secteur très peu syndiqué, on se retrouve donc face à un patronat qui n’a pas l’habitude”, ajoute Marc Rutschle. “Mais il y a un moment où les salariés se rendent compte qu’ils font partie d’un système qui arrive à bout”.
Contactés par Novethic, Ubisoft et Don’t Nod n’ont pas donné suite à nos demandes d’interview.