Publié le 5 juillet 2024

L’omniprésence des réseaux sociaux dans les campagnes politiques pour influencer l’opinion des électeurs, est un phénomène qui ne cesse de se renforcer. L’étude, publiée par le CNRS le 1er juillet, sous la responsabilité de David Chavalarias, montre comment la Russie dope le phénomène pour pousser le RN et son leader Jordan Bardella vers les sommets électoraux. Le Brexit était, il y a huit ans, le premier cas d’influence électorale que le vote en faveur des Travaillistes vient d’inverser.

Minuit moins dix à l’horloge de Poutine, tel est le titre donné à son étude par David Chavalarias. Au CNRS, le directeur de recherche a développé avec son équipe un outil, le “Politoscope” qui observe, depuis 2016, date du vote pro Brexit en Grande Bretagne, le militantisme politique sur X. Il permet de visualiser les impacts des échanges et les thèmes qui montent artificiellement grâce à des techniques de plus en plus sophistiquées. Le Politoscope les visualise dans des images qui ressemblent à des tableaux.

L’étude montre comment, en quatre ans, les robots russes et les stratégies de cyber harcèlement permettent de mettre en place un “dispositif à travers lequel les communautés politiques préoccupées par le conflit israélo-palestinien et la montée de l’antisémitisme ou de l’islamophobie sont instrumentalisées afin de compromettre tout barrage contre une extrême-droite banalisée au second tour des législatives“. Lancée le 1er juillet, elle est très intéressante à lire (même avec un bagage technique limité). On y comprend comment la Russie mélange des stratégies de long terme et d’hyper réactivité à l’actualité en modifiant globalement l’espace d’information des citoyens français : réseaux sociaux, sites Internet et même régies publicitaires des réseaux pour rendre plus efficaces certaines campagnes. Cette ingérence très insidieuse, influence souvent à leur insu les citoyens ciblés. Les gouvernements ne la voient pas forcément car elle est beaucoup plus subtile que la diffusion massive de “fake news”.

“Favoriser la radicalisation et la polarisation politique”

Dans son livre, “Les ingénieurs du chaos” paru en 2019, Giuliano Da Empoli décrivait les techniques et les procédés sur lesquels s’appuie la montée des populismes partout en Europe. Dans son livre de 2022, “Le Mage du kremlin”, il précise jusqu’où la Russie de Poutine pousse cette théorie du chaos. L’étude du CNRS confirme la sophistication et l’ampleur du phénomène : “d’un côté le Kremlin s’efforce d’amplifier la perception des horreurs de Gaza auprès de la communauté LFI afin qu’elle impose le cadre du conflit israélo-palestinien aux législatives avec son corollaire sur la monté d’attitudes hostiles envers l’islam. Cela favorise sa radicalisation et la polarisation politique entre extrême-gauche et extrême-droite. De l’autre les communautés juives, traumatisées par le 7 Octobre 2023, et la droite ont été matraquées depuis des années par le narratif sur les “islamo-gauchistes” (qui ne peuvent qu’être antisémites) et l’équivalence “Nouveau front populaire = LFI”. Pour couronner le tout, la perception de la montée de l’antisémitisme et son caractère anxiogène ont été amplifiés par le Kremlin via des actions sur le territoire telles que les tags de l’étoile de David sur les murs de Paris et les tags de “mains rouges” sur le Mémorial de la Shoah“.

Mais il ne suffit pas, comme l’explique David Chavalarias, de pousser les sujets qui divisent. Il faut aussi minimiser la place de ceux qui pourraient créer des consensus transpartisans comme le réchauffement climatique. La problématique a été d’autant plus éclipsée des campagnes européennes et législatives qu’elle était portée quasi exclusivement par EELV et la liste emmenée par Marie Toussaint. La complexité des sujets qu’elle porte conduit à une invisibilisation sur les réseaux sociaux, tout l’inverse des messages ultra simplistes de Jordan Bardella qui règne politiquement sur TikTok après avoir dépassé le million d’abonnés. Ce chiffre serait d’ailleurs largement dopé par les algorithmes des robots.

Le souvenir de l’affaire Cambridge Analytica

En huit ans, les techniques employées à l’époque pour faire élire Donald Trump et adopter le Brexit en Grande Bretagne se sont considérablement développées. L’affaire Cambridge Analytica avait révélé comment les données des utilisateurs de Facebook avaient aidé à diffuser massivement des “fake news” auxquelles ont cru les électeurs. La campagne pro Brexit a martelé que quitter l’Union européenne permettrait d’économiser 350 millions de livres (415 millions d’euros) par semaine qui financeraient la Sécurité sociale. En réalité cela a conduit au détricotage systématique du peu de protection sociale qui restait aux plus pauvres.

La Grande Bretagne est en récession depuis l’année dernière, 21% de la population est en situation de pauvreté, soit plus de 14 millions de personnes, et les services publics comme le NHS (l’équivalent des hôpitaux de l’Assistance Publique) sont exsangues. Huit ans de Brexit ont laminé l’économie britannique qui n’a pas fini d’encaisser le choc du Covid. Les Britanniques ont pris la mesure de tous les mensonges et les fausses promesses qui ont forgé leurs opinions et ont envoyé balader les conservateurs qui dirigeaient le pays depuis 14 ans. Le parti travailliste de Keir Stammer qui veut le “reconstruire” a obtenu une large majorité. Mais le parti d’extrême droite du leader pro Brexit Nigel Farage a réussi à faire élire plus de 12 députés. De quoi alimenter le chaos au sein du Parlement britannique en s’appuyant sur ses deux meilleurs alliés, X et TikTok.

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