Publié le 27 mars 2025

Dans un jugement concernant la SNCF, la nouvelle chambre du tribunal de Paris dédiée au devoir de vigilance et à la RSE vient de préciser les conditions de recevabilité des affaires. Une décision qui confirme une jurisprudence de plus en plus étoffée sur le sujet.

C’est la première décision rendue par la chambre du tribunal judiciaire de Paris consacrée aux contentieux sur le devoir de vigilance des entreprises. La cour avait été saisie par les syndicats du groupe SNCF, qui reprochaient à l’entreprise de ne pas avoir répondu à ses obligations de vigilance lors de la mise en œuvre du désengagement de sa filiale Fret SNCF. A partir du 1er janvier 2025, la SNCF devait en effet, pour se conformer aux règles européennes, démanteler sa filiale et se séparer d’une partie de ses activités de fret de marchandise.

Une opération qui, selon les syndicats, comportait des risques sociaux (pertes d’emplois, risques psycho-sociaux, etc.) et des risques environnementaux (hausse des émissions de CO2 liées à un éventuel report des usages du fret vers la route). Ceux-ci n’auraient pas été suffisamment cartographiés et gérés par l’entreprise conformément à la loi française sur le devoir de vigilance, estiment les plaignants.

Dans leur décision, les juges ont débouté les syndicats pour des raisons de forme notamment, mais aussi de fond. Les juges ont notamment estimé que les demandes de mise à jour de la cartographie des risques formulées par les syndicats n’identifiaient pas “de manière précise et concrète les risques et les atteintes graves à prévenir sur l’environnement, sur la santé, ou la sécurité des personnes par rapport à la cartographie” déjà présentée par l’entreprise.

Des demandes précises en matière de vigilance

La mention par les requérants d’un “risque écologique inhérent au transport routier de marchandises à partir des études environnementales sur les émissions de gaz à effet de serre dans le domaine du transport” a ainsi été jugée insuffisante pour permettre une mise en demeure. “Les juges confirment que les demandes en matière de diligence raisonnable ne doivent pas être trop générales ou porter sur des risques sectoriels, mais doivent être formulées de manière précise et être directement liées aux activités de l’entreprise”, commente Charlotte Michon, avocate spécialisée dans l’accompagnement des entreprises en matière de devoir de vigilance et de responsabilité sociale. “Ce besoin de granularité et de détails dans l’évaluation des risques avait déjà été posé par la décision dans l’affaire La Poste. C’est une confirmation de la jurisprudence”, abonde Marcellin Jehl, juriste et chargé de contentieux et plaidoyer pour Les Amis de la Terre France.

Les syndicats arguaient également que la liquidation par la SNCF de ses activités de fret avait été décidée sans vérifier qu’elle était compatible avec les engagements climatiques de la France, et notamment vis-à-vis de la stratégie nationale du fret ferroviaire. Le jugement n’a pas retenu cet argument. “La juge a estimé qu’on ne pouvait reprocher directement à la SNCF, société commerciale, de ne pas respecter un engagement pris par l’Etat, quand bien même elle devrait rendre compte des enjeux environnementaux et sociaux de ses activités”, précise Charlotte Michon.

La responsabilité sociale de l’entreprise confirmée par le juge

Enfin, les requérants invoquaient la non conformité du plan de transformation des activités de fret aux engagements de la SNCF inscrits au Code du Commerce, mais également à la Loi Pacte, qui précise que l’entreprise doit être gérée en “prenant en considération les enjeux sociaux et environnementaux de son activité”. Ils réclamaient donc que la SNCF répare le préjudice au titre de sa responsabilité civile. Là encore, ils ont été déboutés par le tribunal, qui a considéré que les consultations et les cartographies des risques menées par la SNCF suffisaient à prouver la prise en compte des enjeux de durabilité. “La cour a considéré qu’en l’absence de preuve apportée sur un manquement qualifié de la SNCF à ses obligations, aucune réparation n’était due”, poursuit Charlotte Michon.

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Pour Marcellin Jehl, “ce jugement est un jugement d’espèce, très spécifique au contexte de l’affaire, et il faut donc être assez précautionneux sur ce qu’elle indique pour la jurisprudence”. Le juriste retient tout de même “la confirmation par le tribunal que l’entreprise a qualité à défendre en matière de vigilance même lorsqu’elle ne fait que mettre en œuvre une décision prise par l’Etat”. La SNCF arguait en effet qu’elle ne pouvait être tenue pour responsable des obligations de vigilance dans le cadre d’un projet de cession des activités de fret décidé par l’Etat. Argument rejeté par le tribunal, qui confirme donc en creux la responsabilité sociale de l’entreprise dans la conduite de ses activités, quel que soit le contexte juridique et réglementaire.

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