Publié le 10 février 2015
SOCIAL
L’industrie de la mode face aux questions d’éthique
Deux ans après le drame du Rana Plaza, l’industrie textile n’a toujours pas réglé son problème de sous-traitance. Sciences Po et l’Atelier de couture, une petite marque de mode éthique, viennent de publier une étude sur "l’industrie de la mode face aux questions éthiques". Pendant une année, ils ont scruté le discours des grandes marques et disséqué le système. Ils dressent un portrait sans fard de l’industrie de la mode et veulent montrer qu’elle pourrait offrir des prix bas tout en garantissant des conditions sociales et environnementales acceptables.

DR
"En 2006, je vivais au Vietnam et j’ai vu une manifestation d’ouvriers du textile réclamant des augmentations de salaire. Ils avaient obtenu, à la suite de leur grève, l’équivalent du prix d’une canette de Coca en plus tous les mois. Mon armoire étant remplie exclusivement de Zara, H&M, Gap et autres… cela m’a marquée."
Presque dix ans plus tard, Constance Bost est devenue créatrice de mode éthique (L’Atelier de couture), mais n’a rien perdu de son indignation. "Je pensais naïvement que les choses s’étaient améliorées: sur leurs sites Internet, dans leurs campagnes de pub, les marques mettent en avant leurs chartes, leurs valeurs, leurs démarches RSE (Responsabilité sociale des entreprises, NDLR)… Le drame du Rana Plaza a montré que ce n’était qu’un leurre."
Mais "au-delà de l’indignation immense", se posaient les questions sur les raisons de cette dérive, sur les mécanismes qui avaient abouti au Rana Plaza. Constance Bost s’est tournée vers Sciences Po pour réaliser une étude qu’elle a voulue grand public, intitulée "L’industrie de la mode face aux questions d’éthique".
Une mode hors sol
Pendant un an, avec 5 étudiantes, elle a disséqué le système et tenté d’interroger des marques. "Très peu ont accepté de me rencontrer", déplore-t-elle.
Parmi celles qui ont accepté: Monoprix et Auchan. "Ils me parlaient responsabilité juridique, je leur répondais morale. Nous n’arrivions pas à nous comprendre. Et pourtant, je sais comment fonctionne l’industrie de la mode."
L’industrie de la mode, qu’elle décrit, est une mode hors-sol avec des vêtements qui se consomment à mille lieues de là où ils se fabriquent, où les marques n’ont plus d’usines. "C’est notamment ce qui explique que les marques ne se sentent pas responsables. Il est très facile de se désengager, de changer de fournisseurs et/ou de pays quand un problème survient", souligne Constance Bost.
Cela conduit souvent aussi à un manque d’investissement dans l’appareil productif et, donc, dans les conditions de travail: le fournisseur n’investit pas, car il n’a pas de vision de long terme.
Souvent, aussi, le fabricant n’est pas le propriétaire de l’immeuble qui, en plus, n’est pas toujours adapté à un usage professionnel, comme l’a montré le Rana Plaza…
Le prix de l’éthique
Pour les grandes marques, une mode éthique ne coûterait cependant pas plus cher. Sur un tee-shirt à 29 euros, seuls 18 centimes sont liés à la confection. Augmenter cette part n’aurait donc que peu d’incidence sur le prix final.
"Contrairement à ce que l’on peut penser, il n’y a pas toujours de lien direct entre le prix payé et les conditions de production. Il y a aussi la question de la marge par exemple. Surtout, avec leur puissance commerciale – H&M est par exemple le plus gros acheteur de vêtements du Bangladesh avec 1,1 milliard d’euros d’achats dans le pays en 2012 –, le volume très important des ventes et les économies d’échelle, les grandes enseignes pourraient offrir des prix bas tout en garantissant des conditions sociales et environnementales acceptables."
C’est aussi ce que concluait le PCN(1) français dans son rapport sur la filière textile rendu public après le drame du Rana Plaza: "Respecter les règles ne coûte pas plus cher, à condition d’investir dans la formation des salariés, de réduire les coûts liés à une rotation excessive du personnel et d’obtenir des gains de productivité. Ces gains permettent de financer les augmentations de rémunérations et d’assurer des salaires décents. A ce titre, les pratiques d’achats sont importantes."
Les grandes marques toutes-puissantes
Parce qu’elles n’ont pas toutes ces leviers de volume et donc de pouvoir, les petites marques de mode éthiques, elles, restent souvent chères et beaucoup ont mis la clé sous la porte ces dernières années. "Malheureusement, la mode éthique n’est toujours pas glamour pour les consommateurs, regrette Constance Bost. Je n’en fais d’ailleurs pas un argument de vente pour ma propre marque. Mais j’estime juste que produire des vêtements dans des conditions décentes, c’est le minimum. Et ce sont les grandes marques qui ont le pouvoir de faire changer les choses."
1) Point de contact national: un mécanisme qui permet à la société civile de soumettre ses plaintes sur les activités des entreprises. Ce service gouvernemental doit promouvoir les Principes directeurs et effectuer des enquêtes au niveau national quand des problèmes sont rencontrés. Les PCN ont un rôle de médiateurs.